Au delà des discours : l'Afrique et l'Europe vont-elles mobiliser ensemble les investissements pour le développement ?

Mobiliser les investissements pour la transformation structurelle en Afrique est l’un des thèmes clés que l’Union africaine (UA) veut discuter lors du 5ème Sommet UA-UE en Côte d’Ivoire les 28 et 29 novembre. En effet, cela pourrait bien étayer les autres domaines d’intervention proposés en matière de gouvernance, de paix et de sécurité et d’investissement dans le capital humain.

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      L’accent mis sur l’investissement est hautement pertinent pour plusieurs raisons

       

      Premièrement, le but n’est pas seulement de stimuler l’investissement dans les secteurs traditionnels (principalement les ressources naturelles, sujettes à la capture des rentes), mais de le faire de manière transformative. Cela signifie aborder les fondements du développement de l’Afrique, mettre l’Afrique en marche, par le développement du marché et une meilleure gouvernance, et cibler des domaines prioritaires tels que l’accès à l’énergie, dans une combinaison d’approches sectorielles et économiques.

      Deuxièmement, l’accent mis sur l’investissement transformateur est un élément central de la réponse au boom démographique en Afrique, qui représentera plus de la moitié de la croissance démographique mondiale d’ici 2050, et le besoin connexe de créer plus d’emplois décents. Cela ne peut se produire que si davantage d’investissements ciblent des secteurs productifs et innovants, de l’agriculture à l’industrie légère, des services aux nouvelles technologies, vers une transformation structurelle durable.

      Troisièmement, l’objectif de l’investissement fait écho aux Objectifs de développement durable des Nations Unies à l’horizon 2030 et aux besoins financiers qui en résultent pour le développement. Cela requiert de démultiplier les milliards, conformément aux priorités de l’Afrique telles que définies dans leur Agenda 2063, y compris relatives aux efforts de mobilisation des ressources.

      Enfin, le besoin d’investissement pour la transformation en Afrique répond aux priorités européennes, y compris pour le Sommet. La crise migratoire a rendu les gouvernements et les institutions européennes plus conscients de l’interdépendance de leur sort avec ceux des pays en développement, notamment l’Afrique. La prospérité et la stabilité sur le continent africain pourraient sans doute réduire les flux de migrants pauvres suffisamment désespérés pour risquer leur vie par venir en Europe, ce que l’Union européenne (UE) appelle communément « s’attaquer aux causes profondes de la migration ». Bien que les analyses empiriques indiquent clairement que l’émigration augmente d’abord avec le développement avant de décliner, l’argument a acquis une influence suffisante dans les cercles politiques pour élever l’intérêt européen au développement africain au-delà des perspectives d’aide traditionnelles bienveillantes. Investir dans la transformation économique de l’Afrique est devenu un enjeu économique et politique majeur pour l’Europe.

      Le besoin d’initiatives concrètes : le plan d’investissement extérieur de l’UE ?

       

      Pour ce Sommet, la diplomatie polie devrait faire place à des discussions plus franches, axées sur un nombre plus limité d’initiatives concrètes, suivies d’une mise en œuvre active, comme l’a récemment suggéré le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat. Stimuler les investissements pour une transformation structurelle durable et inclusive est un thème qui offre d’excellentes opportunités à cet égard.

      L’UE se considère prête à discuter des investissements pour une transformation inclusive, ayant adopté cet été son nouveau plan d’investissement extérieur (PIE), qui devrait être officiellement lancé lors du Sommet. Le PIE vise à stimuler l’investissement en Afrique et dans le voisinage de l’UE en tirant parti de l’investissement privé et du financement du développement. La mise en commun de 4,1 milliards d’euros de contributions de la Commission européenne dans un Fonds européen pour le développement durable (FEDD) nouvellement créé vise à stimuler jusqu’à 44 milliards d’euros en infrastructures et investissements productifs. L’une des principales innovations est la garantie du FEDD de 1,5 milliard d’euros, qui vise à réduire le risque (réel mais aussi perçu) pour les investisseurs privés et les financiers. Ce faisant, on espère stimuler l’investissement durable dans les pays les plus pauvres et les plus difficiles, en allant au-delà de ce que les institutions financières de développement (IFD) ont fait jusqu’à présent.

      L’autre dimension innovante potentielle du PIE réside dans l’intention de l’UE de renforcer la cohérence de ses opérations, s’appuyant plus systématiquement sur l’assistance technique (2e pilier du PIE) pour améliorer la qualité de la préparation et de la mise en œuvre des projets, ainsi qu’améliorer l’environnement réglementaire et le climat des affaires et de l’investissement (le 3ème pilier du PIE), notamment en poursuivant des politiques et dialogues politiques multi-acteurs. En agissant de manière plus coordonnée, l’UE pourrait tirer parti de manière plus efficace de ses propres initiatives et instruments, au-delà du PIE, avec d’autres instruments de financement du développement et de politique étrangère.

      Pourtant, le PIE a jusqu’ici été principalement une affaire européenne. Sa mise en place est le résultat d’intenses négociations intra-UE (au sein de la Commission européenne, et avec le Service européen pour l’action extérieure, le Conseil et le Parlement européen, sans oublier les institutions financières de développement, et en particulier la Banque européenne d’investissement (BEI). Ainsi, alors que l’UE présentera fièrement son PIE au Sommet, la question qui se pose est la suivante : quel sera la part africaine de ce partenariat ? L’Afrique restera-t-elle simplement un destinataire reconnaissant des initiatives européennes ?

      Vers quels résultats pour le Sommet et le partenariat UA-UE ?

       

      Le PIE est une initiative bienvenue. Mais il doit d’abord s’appuyer sur les initiatives africaines et les soutenir, et non les remplacer.

      Premièrement, il existe plusieurs initiatives internationales qui ressemblent ou complètent le PIE (par la BEI, le Groupe de la Banque mondiale, le Pacte du G20 avec l’Afrique, le Plan Marshall allemand avec l’Afrique, etc.).

      Il est donc impératif que l’Europe et l’Afrique unissent leurs forces, travaillant ensemble de manière active et coordonnée, afin d’assurer une synergie maximale entre les différentes initiatives visant à soutenir l’investissement en Afrique. En s’appuyant sur le guichet unique tant attendu prévu par l’UE dans le cadre du Plan d’investissement extérieur, un mécanisme de coordination conjointe – léger – pourrait être mis en place, fournissant un point d’entrée et un lien vers ces initiatives internationales d’investissement.

      Deuxièmement, le PIE ne devrait pas être un outil européen pour les IFD européennes – ou pas seulement. L’Europe et l’Afrique devraient travailler ensemble pour renforcer les mécanismes et institutions de financement propres à l’Afrique. Plutôt que de se concentrer uniquement sur quelques projets d’investissement clés, le PIE pourrait utilement contribuer à soutenir les institutions financières africaines et leurs activités, notamment les banques régionales de développement, au-delà de la Banque africaine de développement (BAD). Il peut le faire en soutenant des initiatives d’investissement conjointes (comme dans le cas de l’initiative Boost Afrique de la BAD et de la BEI), mais aussi en renforçant leurs capacités et leur gouvernance, et en soutenant efficacement les institutions africaines pour mobiliser l’investissement privé (comme par exemple cas avec Africa GreenCo dans le secteur de l’énergie durable – dont la pénurie reste un obstacle majeur au développement d’activités économiques plus productives).

      Le soutien visant à stimuler l’investissement pour la transformation devrait également être stratégiquement lié aux dynamiques d’intégration économique régionale en Afrique, ainsi qu’aux accords de partenariat économique (APE) et aux préférences commerciales de l’UE. Cela devrait se faire en coordonnant les efforts visant à encourager l’engagement du secteur privé (et en particulier des PME), le financement du commerce ainsi que la promotion des exportations et des investissements, en synergie avec le cadre du PIE.

      L’Europe et l’Afrique devraient également s’engager à consacrer davantage d’efforts aux réformes fiscales, à la mobilisation des recettes et à la coopération internationale en matière fiscale.

      Le Sommet n’aura de sens que s’il initie de nouveaux efforts concrets de la part de l’Afrique et de l’Europe pour mobiliser plus efficacement des investissements durables pour la transformation de l’Afrique, en s’appuyant sur des intérêts communs, pour le bénéfice de tous.

      Les opinions exprimées sont celles de l’auteur et pas nécessairement de l’ECDPM.

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