Sept façons de soutenir la résilience et les réponses aux crises dans le Sahel Central
Authors
Les populations du Sahel Central subissent de plein fouet les effets du changement climatique et des conflits. Leur résilience est mise à rude épreuve. Dans cette note, Maëlle Salzinger et Sophie Desmidt proposent sept pistes pour mieux soutenir la résilience et les réponses aux crises dans le Sahel Central. Il s'agit notamment de mettre l'accent sur les zones frontalières vulnérables et de réaliser des analyses localisées tenant compte des questions de genre et des facteurs complexes du conflit.
Cette page est aussi disponible en anglais.
Dans le Sahel Central, le renforcement de la résilience des communautés peut les aider à mieux se préparer et à faire face aux défis climatiques et sécuritaires de manière durable.
Summary
Les communautés du Sahel Central subissent de plein fouet l'effet conjugué du changement climatique et des conflits. Leur résilience est mise à rude épreuve, avec peu de soutien de la part de l'État. Dans de nombreux cas, ces populations sont forcées de fuir leurs maisons ou de faire des compromis avec des groupes terroristes pour un semblant de sécurité. Dans cette note de synthèse, nous mettons en lumière sept façons de soutenir la résilience et les réponses aux crises dans le Sahel Central (Mali, Niger et Burkina Faso), dans un contexte de changement climatique, d'insécurité prolongée et de mauvaise gouvernance.
Nos recherches montrent que le renforcement des réponses aux crises et de la résilience dans le Sahel Central nécessite des réponses régionales plus ciblées sur les zones frontalières vulnérables. Les réponses devraient également être mieux coordonnées sur base des avantages comparatifs des organisations régionales actives au Sahel. Les acteurs régionaux, nationaux et internationaux devraient simplifier les mécanismes de coordination et de coopération, mais surtout, ils devraient être menés, et appropriés par la région.
Les réponses à la crise devraient s'appuyer davantage sur des analyses localisées, sensibles au genre et aux conflits, et prendre en compte les facteurs psychologiques. Les réponses devraient être davantage informées par l'expertise sahélienne et pouvoir compter sur davantage de financements (flexibles), y compris de la part des États du Sahel, vers leurs propres organisations régionales.
Enfin, le renforcement du soutien à la résilience des communautés ne doit pas faire fi de l'État et de sa responsabilité de protéger les civils et d'assurer a minima des conditions de vie de base. Le soutien à la résilience doit être complémentaire et réaffirmer le rôle principal de l'État, qui doit s'attaquer aux problèmes de gouvernance et protéger les civils par des mesures militaires et non militaires.
Cette note est une version abrégée du document 'Soutenir la résilience des communautés au changement climatique et aux conflits au Sahel Central : une responsabilité partagée'Introduction
La crise dans le Sahel Central (1), et son impact sur les communautés, perdurent malgré les multiples tentatives des acteurs étatiques, régionaux et internationaux de s'y confronter. Un certain nombre de développements récents tels que l'expansion géographique des activités des groupes terroristes (2), les coups d'État militaires au Mali et au Burkina Faso, et des tensions géopolitiques croissantes suscitent de sérieuses inquiétudes quant à la résolution de cette crise prolongée.
Au Burkina Faso, au Niger et au Mali, les défis liés au changement climatique et à l'insécurité sont aigus. En particulier dans les zones rurales reculées, les communautés sont confrontées à des changements lents et soudains des conditions climatiques qui affectent leurs moyens de subsistance et leur sécurité alimentaire. Dans le même temps, de nombreuses communautés vivent dans la peur et la violence constantes et sont déconnectées de l'État et du reste du pays. Les capacités de résilience des populations sont ainsi mises à rude épreuve. La résilience est comprise ici comme la capacité des personnes à répondre et à s'adapter aux chocs, mais aussi à améliorer leur capacité de réponse à l'avenir. Dans le Sahel Central, le renforcement de la résilience des communautés peut les aider à mieux se préparer et à faire face aux défis climatiques et sécuritaires de manière durable. Les acteurs régionaux, nationaux et locaux soutiennent les efforts de résilience des communautés via différentes activités, avec plus ou moins de succè.
Ce dossier présente sept pistes pour mieux soutenir la résilience et les réponses aux crises dans le Sahel Central, dans un contexte de changement climatique et de conflit. Elle s'appuie sur la recherche menée dans le cadre du projet OKP-RESCOM, une collaboration entre trois universités du Sahel Central et trois organisations basées aux Pays-Bas (3). Cette note résume les principales conclusions d'un document de recherche plus long, basé sur trois rapports nationaux et une synthèse régionale produite par les universités du Sahel, complétée par une analyse régionale préparée par l'ECDPM sur le rôle des organisations régionales et sous-régionales dans le soutien à la résilience des communautés (Salzinger et Desmidt 2023).
1) Des réponses régionales axées sur les zones frontalières
Les origines et les effets du changement climatique et des conflits traversent les frontières, ce qui est manifeste au Sahel Central. Pourtant, les zones frontalières sont fragiles et insuffisamment prises en compte par les acteurs régionaux. En outre, certaines organisations régionales ont mis en place des partenariats pour faire face à la crise, comme les efforts conjoints de la CEDEAO, du CILSS et de l'UEMOA pour lutter contre le changement climatique et la dégradation de l'environnement (Salzinger et Desmidt 2023). Cependant, de nombreux domaines de complémentarité restent sous-explorés, par exemple les liens entre les mesures militaires, non militaires et socio-économiques. Par exemple, l'objectif de l'Autorité du Liptako Gourma de développer une approche sécuritaire localisée et non-militarisée dans la région des "trois frontières" pourrait complémenter les réponses militaires régionales (par exemple par le G5 Sahel) (Salzinger et Desmidt 2023). Par conséquent, les réponses régionales devraient être basées sur des partenariats qui utilisent au mieux ces avantages comparatifs, se concentrer davantage sur les zones frontalières, et soutenir la résilience des communautés. Cette dernière peut être soutenue via une combinaison de mesures visant à renforcer la paix et la stabilité, connecter les communautés périphériques aux centres urbains, restaurer les activités économiques et les services publics, et aider à maintenir les moyens de subsistance en cas de chocs climatiques.
2) Des réponses sensibles aux conflits, au genre et aux aspects psychologiques
Les réponses à la crise au Sahel s'appuient sur des analyses qui ne tiennent pas compte de toute la complexité de la situation. Les rôles divers des jeunes et des femmes dans les activités d'adaptation au changement climatique, de paix et de résilience sont de plus en plus reconnus, mais des obstacles structurels continuent de restreindre leur participation effective (Salzinger et Desmidt, 2023). En outre, l'adaptation au changement climatique est souvent abordée dans une perspective trop technique qui manque de sensibilité aux conflits ; et elle est dépriorisée par rapport à la lutte contre le terrorisme (international). Les facteurs psychologiques, en particulier l'expérience traumatisante des communautés face à une violence continue, aux déplacements forcés et à la pauvreté, ne sont pas pris en compte de manière approfondie. Les analyses et les réponses aux conflits devraient s'éloigner d'une focalisation unique sur la lutte contre le terrorisme et se baser sur des études localisées intégrant les facteurs politiques, économiques et psychologiques complexes du conflit. Ces réponses sensibles au conflit et au genre devraient notamment mieux prendre en compte la diversité des acteurs (et actrices) impliqué(e)s, y compris les femmes et les jeunes, mais aussi les acteurs violents tels que les armées nationales et étrangères, les groupes terroristes, les milices d'autodéfense, les réseaux criminels, etc.
3) Des financements accrus, en particulier pour les organisations régionales
Les ressources consacrées au soutien de la résilience des communautés dans le Sahel Central sont insuffisantes. Les contributions financières des États du Sahel aux organisations régionales qu'ils ont mises en place sont faibles, voire inexistantes dans certains cas, ce qui rend ces organisations régionales dépendantes du financement de bailleurs internationaux (Salzinger et Desmidt 2023). Cette situation n'est pas durable et affecte la qualité des réponses, qui sont globalement marquées par le court termisme, une flexibilité limitée en matière de financement et un manque d'ancrage systématique dans les processus locaux. Augmenter les ressources financières est nécessaire, notamment par le biais des pays du Sahel qui financeraient davantage leurs organisations régionales, mais aussi en facilitant l'accès à des financements flexibles pour les acteurs locaux tels que les autorités locales (voir par exemple la Local Climate Adaptive Living Facility des Nations unies). Les acteurs internationaux et nationaux peuvent également accroître le soutien aux efforts de résilience locale en devenant plus flexibles sur les critères, la planification et les procédures afin que les acteurs régionaux, les OSC locales et les innovateurs locaux puissent développer des réponses graduellement, en fonction de leurs besoins et priorités (Salzinger et Desmidt 2023).
4) Coordination simplifiée et réponses intégrées aux défis climatiques, sécuritaires et de gouvernance
Les ONG, gouvernements, acteurs locaux, services techniques, organisations régionales, etc. travaillent sur les questions climatiques et sécuritaires au Sahel sans agenda commun ni coordination efficace. Cela crée des lacunes, les zones les plus touchées et les plus difficiles d'accès étant moins soutenues (Amadou et al. 2022). Plusieurs mécanismes de coordination (Alliance du Sahel, Partenariat pour la paix et la sécurité au Sahel, etc.) existent mais semblent ajouter une couche supplémentaire de complexité, amplifiant la confusion existante (Lebovich 2020). En outre, les approches cloisonnées de l'adaptation au changement climatique, du développement et de la sécurité persistent, peu d'organisations régionales mettant en place des approches intégrées qui aident les communautés à faire face à la pression de ces défis combinés. Des mécanismes de coordination moins nombreux et menés par les acteurs régionaux réduiraient la confusion. De plus, des réponses intégrées aux défis climatiques, sécuritaires et de gouvernance, comme les mesures d’adaptation au changement climatique sensibles aux conflits, peuvent apporter des dividendes multiples à partir de ressources limitées. Les programmes régionaux PRAPS et FREXUS sont prometteurs à cet égard (Salzinger et Desmidt 2023).
Les mécanismes de résilience des communautés pour faire face aux impacts climatiques et à l'insécurité ne sont pas suffisamment compris, soutenus et utilisés par les acteurs régionaux et internationaux au Sahel.
5) Un soutien plus fort et cohérent à la résilience des communautés
Les mécanismes de résilience des communautés pour faire face aux impacts climatiques et à l'insécurité ne sont pas suffisamment compris, soutenus et utilisés par les acteurs régionaux et internationaux au Sahel. Par exemple, la mobilité humaine est vue avec suspicion au lieu d'être reconnue comme une stratégie de résilience que les populations (notamment les pasteurs) utilisent pour s'adapter aux impacts climatiques qui menacent leurs moyens de subsistance. En outre, l'utilisation par les communautés des techniques traditionnelles d'adaptation au changement climatique, des coopératives, du dialogue communautaire et des mécanismes de résolution des conflits n'est pas suffisamment exploitée et mise à l'échelle (Salzinger et Desmidt 2023). Les acteurs nationaux et internationaux devraient résoudre certaines incohérences telles que le fait de soutenir la résilience tout en limitant la mobilité humaine. Elles devraient aussi soutenir davantage les initiatives de dialogue pacifique, afin d'aider les communautés à éviter les stratégies de compensation telles que les compromis avec les groupes terroristes.
6) La primauté de la responsabilité étatique
Les besoins en matière de résilience sont très spécifiques au contexte et les communautés sont soumises à une forte pression pour répondre à plusieurs crises à la fois. Dans les zones du Sahel Central touchées par les conflits, l'espace est plus étroit pour développer une résilience à plus long terme face au changement climatique, et quasi absent lorsqu'il s'agit de la résilience face à l'insécurité. Les effets de la violence étant immédiats et dévastateurs, les populations sont obligées de fuir, ou de négocier avec les groupes terroristes pour assurer un semblant de sécurité, ce qui n'a pas été propice à une paix durable jusqu’à présent (Salzinger et Desmidt 2023)). Par conséquent, le soutien à la résilience des communautés est complémentaire et ne devrait pas supplanter la responsabilité de l'État en matière de protection du peuple contre la violence et les catastrophes climatiques. Les réponses internationales et régionales à la crise devraient s'aligner sur les communautés impactées dans leurs revendications légitimes de protection de l'État, de redevabilité et d'amélioration de la gouvernance (y compris l'accès à la justice et aux services de base) comme solutions primaires à la crise (Zoungrana et al. 2022 ; Salzinger et Desmidt 2023).
7) Réponses et production de connaissances menées par le Sahel
Les experts et les intermédiaires du savoir sahéliens sont sous-représentés dans la recherche et les discussions les concernant. Par exemple, seulement 3,8% du financement mondial pour la recherche sur le changement climatique est consacré à des sujets africains, et lorsqu'on examine qui reçoit ces financements pour la recherche sur le climat en Afrique, les institutions basées en Europe et en Afrique du Nord en obtiennent 78% alors que les institutions africaines seulement 14,5% (Overland et al. 2022). Les discussions politiques sur les réponses aux conflits (souvent tenues en dehors de l'Afrique) n'impliquent pas non plus suffisamment les analystes sahéliens. Ceci est problématique en soi, et donne lieu à des réponses mal adaptées aux priorités et aux besoins locaux (Deb et Baudais 2022). Les chercheurs locaux ont accès à des données granulaires à jour et aux points de vue des communautés touchées par le conflit, tandis que les organisations internationales ont du mal à accéder à ces zones sur le plan logistique ou ne bénéficient pas de la même confiance des communautés pour obtenir des informations. Le leadership sahélien sur les réponses régionales aux crises climatiques et sécuritaires au Sahel doit être reconnu. Divers acteurs sahéliens, y compris les chercheurs locaux, devraient pouvoir jouer un rôle clé dans le développement des connaissances et mener les réponses à la crise, ce qui peut prendre la forme d'initiatives conjointes de programmation et de recherche centrées sur le pouvoir d’action sahélien. Les approches collaboratives qui valorisent les connaissances et les perceptions locales doivent devenir la norme.
Références
Amadou et al. 2022. Changement climatique, sécurité et état de droit au Sahel : Quelles actions pour renforcer la résilience des communautés. Étude de cas Niger : Rapport Provisoire, Université Abdou Moumouni Avril 2022 (interne).
Deb, S. et Baudais, V. 2022. The Challenges of Data Collection in Conflict-affected Areas: A Case Study in the Liptako-Gourma Region. SIPRI. Octobre 2022.
Lebovich, A. 2020. Disorder from Chaos: Why Europeans fail to promote stability in the Sahel. European Council on Foreign Relations. 26 août 2020.
Overland, I., Sagbakken, H.F., Isataeva, A., Kolodzinskaia, G., Simpson, N.P., Trisos, C. et Vakulchuck, R. Funding flows for climate change research on Africa : where do they come from and where do they go ? USDA. Climat et développement 2022 v.14 no.8 pp. 705-724.
Salzinger et Desmidt. 2023. Soutenir la résilience des communautés au changement climatique et aux conflits au Sahel Central : une responsabilité partagée. Document de réflexion ECDPM. Février 2023.
Zoungrana et al. 2022. Résilience communautaire face aux défis du changement climatique et de l'insécurité dans le Sahel burkinabè. Rapport Général Axe 1. Juillet 2022 (interne).
Notes en fin de texte
1. Mali, Niger et Burkina Faso
2. https://acleddata.com/10-conflicts-to-worry-about-in-2022/sahel/
3. Le projet OKP-RESCOM Sahel vise à générer des connaissances sur les interactions entre le changement climatique, l'insécurité et l'état de droit au Sahel Central, et à identifier des mesures pour le renforcement des capacités et la résilience des communautés locales sur le long terme. Le bailleur est l'Organisation néerlandaise pour l'internationalisation de l'éducation (NUFFIC). Le consortium est composé de trois universités du Sahel Central : l'Université des sciences juridiques et politiques de Bamako (USJPB) au Mali ; l'Université Abdou Moumouni de Niamey (UAM) au Niger ; l'Université Joseph Ki-Zerbo (UJKZ) de Ouagadougou au Burkina Faso ; ainsi que de trois institutions néerlandaises : la Maastricht School of Management (MSM), le Centre pour les relations Afrique-Europe (ECDPM) et le CINOP."