Coordonner la coopération dans le Sahel

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    Damien Helly, chef-adjoint du programme « Renforcement de l’action extérieure européenne » auprès de l’ECDPM

    Voir aussi l'article « Aide de l’UE et la société civile dans le Sahel » et « Situation au Sahel »


    Chercheur au Centre européen de gestion des politiques de développement (ECDPM), un think-tank indépendant fondé en 1986 dont le but était d’améliorer la coopération entre l’Europe et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), Damien Helly est chef-adjoint du programme « Renforcement de l’action extérieure européenne ». L’objectif principal de l’ECDPM aujourd’hui est de nouer des partenariats efficaces entre l’Union européenne et les pays en développement, notamment l’Afrique. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Damien Helly, qui est co-auteur d’un récent rapport publié par l’ECDPM et l’Institut d’études et de sécurité (ISS), « Stratégies Sahel : l’impératif de la coordination », parle des stratégies de développement de la région du Sahel confrontée aujourd’hui à une multitude de défis dont celui sécuritaire notamment. Ces dernières années, le Sahel est devenu une zone de prédilection pour les groupes terroristes et les trafiquants en tous genres, qui constituent une menace sérieuse pour le développement de la région. Comment appréciez-vous les politiques mises en œuvre par la communauté internationale dans le cadre de l’assistance aux pays concernés pour combattre ces fléaux ? Malheureusement, il n’y a pas de réponse simple ni courte à cette question. Pour le moment, nous essayons de trouver les meilleures méthodologies afin de comprendre ce qui se passe dans la région du Sahel du point de vue des relations entre l’Afrique et l’Europe. Il y a toujours plusieurs parties prenantes dans ce que vous appelez « les politiques mises en œuvre par la communauté internationale ». Ceci dit, je remarque trois tendances lourdes depuis 2012 : une européanisation relative des politiques françaises dans la région, une internationalisation de la présence étrangère au Mali en particulier et au Sahel en général avec d’importantes promesses de fonds, une régionalisation de la problématique de Boko Haram plus récemment. Le grand défi aujourd’hui est de transformer ces adaptations stratégiques en réalisationsconcrètes et en dynamiques de changement ou de renforcement vers le développement au sens large (et positif) du terme. A la lecture de votre note d’analyse sur les stratégies Sahel, on voit posées de pertinentes questions sur la coordination entre les stratégies des différents partenaires institutionnels impliqués, mais on cherche, en vain, une quelconque analyse des stratégies directement élaborées ou élaborables par les populations concernées ; a fortiori donc, de la coordination entre celles-ci et celles-là. Les informations sont peu ou prou collectées, encore moins tracées, au niveau le plus local qui ne dispose, généralement, d’aucun moyen adéquat pour en assurer la transmission fidèle aux niveaux les plus globaux. De quelle sécurité votre institut se préoccupe-t-il donc ?  Je partage votre impatience. Le document que vous avez lu n’est qu’une première étape d’un processus plus long d’analyse, de collecte de données et de soutien à la diplomatie régionale qui vise à faire émerger une vision politique commune des enjeux et des actions à mener au Sahel. Nous avons fait le choix dans ce papier de travailler au niveau stratégique, car nous avions constaté le risque d’une « querelle des architectures institutionnelles » entre les différentes organisations et États présents dans la région. Il fallait donc clarifier les débats et montrer à tous que leurs approches n’étaient pas nécessairement incompatibles. Ces débats d’ailleurs ne sont pas clos. La prochaine étape de notre travail visera à produire une vision plus concrète des plans d’action et si possible de la mise en œuvre de toutes les stratégies Sahel au niveau de la région. Ceci demande du temps et des ressources importantes qui ne sont pas faciles à obtenir, mais nous y travaillons. Chaque gouvernement du Sahel coordonne sa coopération internationale au niveau national et local. Nous espérons pouvoir connecter plus systématiquement les expériences réussies qui sont en cours avec les porteurs de grandes stratégies, afin de mieux faire circuler les connaissances. C’est le cœur même du mandat de notre centre. D’ailleurs, nous avons commencé un tel travail pilote sur l’expérience de la gouvernance locale de l’eau au Niger et au Mali en publiant un blog multimédia sur notre site internet. Nous souhaitons généraliser cette approche et recherchons des soutiens financiers pour ce faire. Si vous avez des idées, elles sont les bienvenues ! Avez-vous évalué, en pourcentage, la part budgétaire des études, rapports, analyses, symposiums, rencontres d’experts et de décideurs, etc., dans les milliards réputés consacrés à la sécurité au Sahel ? Au final, avez-vous une idée du pourcentage de ces ressources financières effectivement traduites en actions concrètes et durables, objectivement appréciables par les populations sahélo-sahariennes directement concernées, une fois déduits tous les frais des services requis pour la mise en œuvre de ces actions ? L’expérience de l’ECDPM a montré qu’un des grands défis pour l’efficacité des actions de développement, c’est une meilleure gestion des connaissances par toutes les parties concernées. D’où notre choix de clarifier la compréhension commune des enjeux, ce qui n’est pas toujours acquis. Bien sûr, de nombreuses études sont inutiles si elles ne sont pas exploitées ou si le contexte n’est pas favorable. Une anthropologue expérimentée nous disait en 2014 : « j’ai fait beaucoup de recherche applicable, mais peu de recherche appliquée. Comment appliquer ce que nous savons ? » Un autre défi, c’est de faire du développement de façon plus politiquement consciente, afin de voir ce qui est possible de changer et ce qui ne l’est pas. C’est là que nous suggérons de mener des analyses d’économie politique à l’échelle de pays entiers, en coopération avec les sociétés, les plus hautes autorités de l’État et les plus grands partenaires financiers. Malheureusement, c’est un exercice très difficile à mener et nous ne sommes pas toujours entendus ou écoutés. Ce que nous essayons d’éviter, dans la mesure du possible, ce sont des petites études ponctuelles qui ne sont pas liées à des processus plus profonds et plus longs de changement ou de renforcement de ce qui fonctionne déjà. Quelles réactions votre étude a-t-elle suscité ? Je dois admettre qu’elles ont été nombreuses et souvent positives. Les Nations Unies, par exemple, nous ont dit que nous étions les seuls à poser les vraies questions. Et lors d’une réunion de haut niveau qui s’est tenue à Bamako en novembre 2014, le ministre malien des Affaires étrangères, Adboulaye Diop, le haut représentant de l’Union africaine, Pierre Buyoya, l’envoyé spécial des Nations Unies, le représentant spécial de l’Union européenne, nous ont encouragés à continuer notre travail et à l’approfondir. Je pense que nos efforts sont appréciés, car nous enrichissons les débats sur le Sahel de façon impartiale. Une étude nécessite un partage d’information. Quelles ont les organisations les plus disponibles ? Y a-t-il une réelle volonté de partager l’information parmi les donateurs de la région ? Certaines ont été plus collaboratives que d’autres, c’est sûr. Il y en a par ailleurs qui existent sur le papier, mais qui ne sont pas très actives, comme le CENSAD, qui était très présent au temps de Kadhafi. Il y a aussi des acteurs qui pour nous sont nouveaux, je pense à la Banque islamique de développement. Dans l’ensemble, chacun se rend compte que travailler isolément n’apporte pas une valeur ajoutée. Et le fait que dans notre étude les diagnostics soient relativement partagés sur les grands problèmes a rassuré les donateurs, qui ont découvert que leur vision stratégique sur le Sahel n’était pas vraiment en concurrence. Ce qui les diffère concerne la mise en œuvre des programmes et leur impact, certains plans d’action ne collent pas à la stratégie élaborée en amont. C’est un défi majeur sur lequel nous voulons désormais concentrer nos efforts. Le risque qu’un donateur lance des programmes déconnectés de la stratégie et sans prendre pleinement en compte l’environnement dans lequel ces programmes vont être mis en œuvre est réel. Depuis les crises afghane et irakiennes, les États-Unis ont tendance à créer des ponts entre l’humanitaire et le sécuritaire. Comment expliquez-vous que le cloisonnement existe toujours entre les experts en sécurité et ceux de l’humanitaire et du développement ? Le problème est effectivement persistant. Les experts en sécurité ont tendance à ne pas être suffisamment informés de ce que font les spécialistes de l’humanitaire ou du développement. C’est un enjeu majeur car au niveau politique, il existe de nombreux documents qui soulignent la nécessité d’une meilleure coordination entre la sécurité, le développement et l’humanitaire. De son côté, l’UE a produit beaucoup d’efforts pour dépasser ce cloisonnement. Ceci dit, il ya une vraie question à se poser : quand on intervient directement, va-t-on continuer ce dialogue entre les spécialistes et la population pour traiter les problèmes sous différents angles ? Sur ce sujet, il y a beaucoup des choses qui sont déjà faites et il faut en parler, car on a souvent la tendance à pointer les problèmes et de ne pas parler des expériences positives. Il faut s’inspirer de ce qui marche pour mieux partager les idées et les expériences.

    Image : courtoisie de Guillaume Colin & Pauline Penot

    Publié à l'origine dans Le Courrier (Niger), N° 371 du 2 juillet 2015

    Voir aussi l'article « Aide de l’UE et la société civile dans le Sahel » et « Situation au Sahel »

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