Aide de l'UE et la société civile dans le Sahel

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    Nous avons publié la première partie de cet entretien avec Damien Helly, chercheur au Centre européen de gestion des politiques de développement de (ECDPM), dans notre livraison de la semaine dernière. Dans cette deuxième partie, l’analyse porte sur le financement société civile par l’Union européenne (UE), la question sécuritaire et le Plan d’action de l’UE en faveur du Sahel notamment.

    Voir aussi l'article « Situation au Sahel  » et « Coordonner la coopération dans le Sahel »


    Dans votre étude, un acteur manque à l’appel : la société civile. Pourquoi ? Nous ne pouvions pas couvrir tous les acteurs de la région, mais on va y arriver nécessairement car dans la mise en œuvre des programmes, les institutions et les grandes organisations internationales font appel aux organisations non gouvernementales et au secteur privé. Les acteurs de la société civile, sur lesquels les donateurs internationaux s’appuient pour mettre en œuvre leurs programmes d’action, ont toujours beaucoup de mal à accéder aux financements, surtout les acteurs de la région. Comment peut-on pallier ce problème ? Je vais me limiter aux financements européens, car ce sont ceux que je connais le mieux. Si vous posez cette question aux responsables européens, ils vous diront qu’ils travaillent jour et nuit pour aider la société civile et l’inclure dans les discussions. Tout cela est vrai, mais ce n’est jamais suffisant. En ce qui concerne la Commission européenne, la question de la longueur et de la lenteur des procédures est récurrente et la rigidité des règlements financiers est très connue. Ceci dit, force est de constater que la Commission européenne fait des efforts pour devenir plus flexible et soutenir des projets avec des financements plus petits, qui sont plus gérables pour les petites ONG. Mais la tendance reste quand même à débourser de gros fonds, car c’est plus facile à gérer pour l’UE, dont les ressources humaines s’amenuisent depuis un certain nombre d’années, ce qui rend compliqué la gestion de beaucoup de petits projets. Il y a un vrai dilemme entre le besoin d’une efficacité administrative d’une côté et de l’autre la volonté de donner des opportunités à un maximum de partenaires dans un pays ou une région. Avec la crise économique et le gel du budget européen, il y a une vraie question qui se pose pour les Européens sur la modernisation de leur aide en vue de la rendre plus accessible et plus flexible au niveau local. Parmi les tendances lourdes évoquées dans votre rapport, vous mentionnez une européanisation relative des politiques françaises dans la région. Concrètement, de quoi s’agit-il ? Je vais vous répondre à travers une anecdote. Une anthropologue expérimentée que nous avons rencontrée à Bamako nous a dit que « les choses ont des choses au Mali. Aujourd’hui, les blancs ne sont plus les Français et les Français ne sont plus blancs ». Cela résume bien ce que nous avons constaté sur le terrain. À Bamako, nous avons rencontré de nombreux blancs qui n’étaient pas Français, y compris des Américains, et que la présence française est surtout due à la diaspora malienne qui revient au pays ou qui maintient des échanges réguliers entre la France et le Mali. Au-delà de cette anecdote, on constate que depuis sept ans les Français veulent ouvrir le jeu et européaniser la prise en compte des enjeux au Sahel. Les raisons sont multiples : certains soutiennent que l’on peut utiliser l’Europe pour continuer à atteindre des objectifs d’intérêt national français, d’autres pensent que les relations entre la région et le reste de l’Europe sont vouées à se moderniser. Si l’on observe la mission EUTM, on s’aperçoit qu’elle inclut de gros contingents allemands ou espagnols. L’approche de la sécurité dans la zone sahélo-saharienne semble balbutier entre, d’une part, considérations géographiques, reconnaissant, de l’Atlantique au Darfour, des rives du Sahara à celles de la forêt tropicale, la continuité naturelle entre ses trois grands bassins hydrauliques – fleuves Sénégal et Niger, lac Tchad– et, d’autre part, considérations politiques, suivant les découpages d’États parfois préoccupés par d’autres contingences territoriales. Une oscillation source de nombreuses imprécisions, voire conflits d’intérêts. Le développement et/ou renforcement des capacités de la société civile la plus localisée possible, reconnue en ses spécificités toujours particulières, et dotée, en conséquence, d’un puissant programme de financements, clairement distinct des indispensables stratégies nationales et internationales, ne permettraient-ils pas de mieux organiser la sécurité de la continuité naturelle du biotope et de ses peuplements ? Vœu pieux ou option déjà retenue et cadrée, éventuellement en cours de réalisation ? Agir au niveau local est une option intéressante et qui n’est pas nouvelle. Il se passe plein de choses intéressantes au niveau local, bien sûr ! Des études du LASDEL au Niger ont montré qu’il y avait diverses formes de gouvernance locale liée à l’aide internationale. Le local n’est pas vacciné contre les méfaits de la dépendance à l’aide. Cependant, l’impact - positif comme négatif - est plus direct et plus visible immédiatement. Connecter les expériences et connaissances passées et en cours au niveau local est une approche suivie par de nombreux spécialistes du développement dans la région. Nous essayons de voir si et comment nous pourrions avoir une quelconque valeur ajoutée à ce niveau. Le Conseil européen a récemment adopté un Plan d’action régional en faveur du Sahel sur la période 2015-2020 qui met l’accent sur le lien existant entre développement et sécurité. À la lumière de votre analyse, que peut-on attendre de ce Plan d’action ? En quoi se différencie-t-elle dans son approche aux initiatives et stratégies qui l’ont précédée ? N’ya-t-il pas un risque de redondances ? Le plan d’Action a le mérite de la transparence et de lancer un message d’approche commune. Ce que nous constatons sur le terrain, c’est que les Européens ont un impact dans la durée qu’il est difficile de prévoir. Parfois, les résultats se font sentir au bout de 5 voire 10 ans. Ceci dit, à court terme, nous avons aussi constaté de réels efforts européens visant à plus d’impact. Un des facteurs clés demeure aussi probablement la poursuite de la modernisation de la relation entre d’une part la diplomatie et l’armée française et de l’autre des élites qui ont le pouvoir (économique, politique et symbolique) dans les anciennes colonies françaises. Comment jugez-vous le rôle et l’implication des institutions africaines au Sahel, et notamment ceux de la CEDEAO ? De quelle manière leurs stratégies influent-elles sur l’ensemble des actions menées par la communauté internationale dans cette région ? Et quelles sont leurs capacités à mettre en œuvre les stratégies qu’elles élaborent ? Il est difficile de donner une appréciation générale, mais ce que nous avons noté, c’est un ensemble de questions sur les capacités et les conditions (techniques, humaines, sociales, culturelles, symboliques, logistiques) de mise en œuvre d’actions de développement. En d’autres termes, beaucoup d’argent a été promis au Sahel, et maintenant il faut trouver les moyens et les opérateurs qui vont traduire concrètement ces engagements dans des interventions qui ont un impact et qui ont du sens pour les populations. Nous élaborons là-aussi des méthodologies pour intervenir avec une valeur ajoutée, mais cela nécessitera aussi des ressources que nous n’avons pas encore.

    Image : Courtoisie de Teseum

    Publié à l'origine dans Le Courrier (Niger) N° 372, 7 juillet 2015

    Voir aussi l'article « Situation au Sahel » et « Coordonner la coopération dans le Sahel  »
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