Financements et mise en œuvre des stratégies Sahel - Deuxième partie

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Notre série de blogs sur les stratégies internationales dans le Sahel vise à mieux outiller les professionnels qui travaillent dans la région. Nous avons commencé par comparer les stratégies Sahel (de l’UA, de l’UE, de la Banque mondiale, de la BAD, de la CEDEAO, de l’ONU), en regardant les enjeux géopolitiques de la coordination internationale et en identifiant des façons de travailler à l’échelle régionale. Notre précédent blog sur le financement des efforts internationaux dans le Sahel montre qu’il est encore difficile, sur la base de sources ouvertes, de donner une image claire et globale de la quantité de fonds disponibles pour la région du Sahel. Ce dernier blog se penche sur les enjeux de la mise en œuvre des différentes stratégies Sahel.

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      Il semble que la plupart des fonds promis au Sahel aient été affectés à des interventions de crise, souvent sous la forme d’aide humanitaire et dans une approche centrée sur la résilience et la sécurité alimentaire. Les autres secteurs ciblés sont les infrastructures. Par exemple, la Banque mondiale prévoit d’appuyer des interventions régionales de développement dans les énergies renouvelables, les infrastructures d’irrigation, l’élevage, les services de santé, la communication et la connectivité régionale.

      Les nouveaux financements allant à la sécurité, la gouvernance et l’Etat de droit – des secteurs qui occupent une place importante dans plusieurs stratégies Sahel – sont moins visibles, mais les intervenants rencontrés au cours de nos missions de mai et juin 2014 dans la région confirment que certaines  initiatives ont commencé à se concrétiser.

      Mise en œuvre de stratégies Sahel

      Prétendre donner aujourd’hui une vue d’ensemble de la mise en œuvre effective des différentes stratégies Sahel est presque une gageure car les documents disponibles que nous avons consultés mélangent les niveaux régionaux et nationaux d’action.

      Au niveau national, la mise en œuvre des stratégies consiste surtout à poursuivre des actions déjà engagées dans les domaines humanitaire, du développement, de la sécurité et de la gouvernance, avec peut-être une prise de conscience plus forte de la nécessité d’adopter une approche régionale. Il est probable que les acteurs les moins innovants, tentés de faire du neuf avec du vieux, affirmeront que leurs efforts dans les différents pays contribuent aux efforts régionaux, sans même essayer de s’aligner sur les efforts nationaux et internationaux de coordination.

      Pourtant, de nouvelles initiatives ont déjà été officiellement lancées, à l’instar de deux projets basés au Mali et au Niger et financés à hauteur de 3 millions de dollars via le Fond des Nations Unies pour la consolidation de la paix (UNPBF, principalement alimenté par des gouvernements non africains en général désireux de fournir de l’aide). L’un vise à accroître la confiance entre les groupes armés et les autorités au Mali, l’autre à favoriser la réinsertion socio-économique dans la région frontalière de Tahoua au Niger.

      L’UE a également réagi très rapidement à la suite du conflit au Mali et, parmi beaucoup d’autres mesures d’urgence, a soutenu le retour de l’administration malienne dans les régions de Mopti, Gao et Tombouctou.

      Dans le cas de la coopération transfrontalière, un nouveau financement pour la région a été annoncé par plusieurs organismes (par exemple, le soutien aux activités pastorales) et sera utilisée pour de nouveaux programmes, mais rien de concret et visible pour les populations n’a encore été rapporté, hormis le déploiement de patrouilles conjointes dans le cadre du processus de Nouakchott.

      Dans de nombreuses organisations, les programmes sont encore en phase de pré-planification et d’identification, parfois impliquant de longs débats internes pour assurer la coordination bureaucratique ou inter-agences. L’ONU a mis en place ses propres groupes de travail pour chacun des trois objectifs de sa stratégie (sécurité, gouvernance, résilience) et depuis 2013 a lancé des projets régionaux et nationaux.

      L’UE a commencé à mettre en œuvre sa stratégie avec des programmes régionaux en 2011 avec par exemple l’initiative Sahel de lutte contre le terrorisme (CTI Sahel) développée sous la ligne «Sécurité et Etat de droit» de l’action, tandis que l’initiative de sécurité alimentaire AGIR est active depuis plusieurs années.

      Suivi et évaluation des stratégies Sahel

      Notre comparaison préliminaire des stratégies montre qu’elles manquent souvent de mesures de suivi et de révision, avec de vagues échéanciers de mise en œuvre, de monitorage et d’évaluation. Seule la stratégie de l’Union africaine prévoit explicitement un plan d’action avec des mécanismes de suivi et d’évaluation dédiés. La stratégie de l’UE est passée en revue sur une base régulière, mais n’est pas évaluée en tant que telle.

      Ceci soulève des questions quant à la responsabilité de ceux qui vont promouvoir et mettre en œuvre les différentes stratégies. Les études existantes soulignent déjà que dans le nord du Mali les personnes bien informées mettent le doigt sur des questions fondamentales concernant la pertinence, la viabilité et les conséquences des précédentes interventions de développement, ce qui a été confirmé par certains de nos récents entretiens.

      La connaissance renforcera le Sahel

      Cette vue d’ensemble de la mise en œuvre des stratégies du Sahel conduit à quelques conclusions préliminaires.

      Les intervenants qui travaillent dans l’humanitaire, le développement, la sécurité ou la gouvernance dans la région ne partent pas de zéro : la mise en œuvre est déjà en cours au niveau national et dans une moindre mesure au niveau régional.

      Toutes les stratégies ne pas sont mises en œuvre à la même vitesse. L’UE, la Banque mondiale et la BAfD – sans mentionner les Etats-Unis qui fournissent déjà une aide importante aux multiples facettes et de coopération avec chaque pays de la région – ont tous poursuivi leur engagement existant et, dans certains cas, l’ont même augmenté avec leurs promesses de novembre 2013.

      Quant aux États africains et aux organisations de la région, il semble qu’ils essaient de rattraper leur retard tout en établissant les bases d’une architecture régionale plus solide. L’Algérie a récemment repris un rôle de médiateur, le Sahel G5 a présenté sa propre stratégie et un plan de mise en œuvre, la stratégie de la CEDEAO est sur le point d’être finalisée et l’Union africaine travaille à son approche centrée sur la gouvernance.

      La concurrence pour la visibilité et la légitimité a maintenant atteint sa pleine vitesse entre les acteurs régionaux et internationaux dans le Sahel. Le défi sera d’assurer la transparence sur le financement disponible, sur les progrès des processus de mise en œuvre, et de les communiquer régulièrement aux communautés. Ce sont elles qui, en fin de compte, sont les premières concernées par les efforts en cours.

      La collecte, le traitement et l’analyse des données sur le financement et la mise en œuvre requièrent une forte expertise et des capacités que les organismes de la région ne possèdent pas toujours. Un suivi et une évaluation approfondis servant tant l’apprentissage que la responsabilisation devront être assurées. Cela peut aider à éviter trois obstacles majeurs bien connus : les illusions d’un âge d’or révolu, l’ignorance de la mémoire vivante de l’aide et de ses paradoxes (y compris les dommages causés par les ajustements structurels) et le cynisme – pas si rare dans le contexte du Sahel.

      Les opinions exprimées ici sont celles des auteurs et non une position officielle de l’ECDPM.

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