Le rôle de la coopération régionale dans le contexte petrolier en Afrique de l'Ouest

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    L’Afrique de l’Ouest est une des sous régions les plus dynamiques du continent.  Avec un produit intérieur brut (PIB) en parité de pouvoir d’achat de 564,86  milliards de dollars en 2012, elle est considérée par le Fonds monétaire international (FMI) comme la 25e  puissance économique au monde.  Si la libre circulation des personnes et des biens constitue une des réussites de la coopération entre les pays de la région, le manque de convergence des politiques macroéconomiques est un frein important à l’intégration. La multiplication du nombre de producteurs de pétrole en Afrique de l’Ouest est venue aggraver le manque de cohésion et de volonté politique pour des relations économiques plus affirmées entre Etats.

    Le nouvel eldorado pétrolier du continent 

    L’Afrique de l’Ouest peut être considérée aujourd’hui comme un des pôles pétroliers les plus importants du continent. En effet, sa frange maritime correspond à la partie la plus étendue du Golfe de Guinée dont l’importance dans la géopolitique du pétrole au plan mondial est avérée. Si le Nigéria fait office de producteur quasi monopolistique, avec plus de 2,5 millions de barils  par jour, quelques nouveaux producteurs ont aujourd’hui permis la diversification de l’offre pétrolière en provenance de la région. C’est ainsi que le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Ghana, la Mauritanie et le Niger font désormais partie du cercle restreint des pays producteurs d’hydrocarbures. Tous les autres pays de la région, à l’exception du Burkina Faso et du Cap Vert, font l’objet de nombreuses activités de prospection menées par des compagnies pétrolières étrangères pour la plupart. Les réserves prouvées de l’Afrique de l’Ouest, sans le potentiel nigérian évalué à plus de 37 milliards de barils, atteignent 40 milliards de barils soit 30% des réserves totales du continent africain.

    Coopérer pour se développer 

    La coopération pétrolière joue un rôle important dans le dynamisme et le renforcement des liens entre les pays de l’Afrique de l’Ouest. Longtemps restée informelle, notamment à cause du trafic illicite de pétrole volé au Nigéria et dans lequel la majorité des pays de la région sont engagés, elle est aujourd’hui centrée sur l’approvisionnement des pays non ou peu producteurs, et sur le partage d’expérience en matière de gestion de l’industrie pétrolière. C’est ainsi que des pays comme le Cap Vert, le Burkina Faso, le Sénégal et la Gambie bénéficient du pétrole produit par leurs voisins. Un atelier sur la politique énergétique en Afrique de l’Ouest a également été organisé dans la capitale nigériane il y a quelques années. Experts occidentaux, journalistes, ingénieurs et parlementaires ouest africains se sont alors penchés sur les moyens de mettre l’énergie au service du rayonnement économique et politique de la sous-région.

    Plusieurs projets de coopération pétrolière sont actuellement en phase de concrétisation en Afrique de l’Ouest. Le Nigéria apparait, à cet effet, comme le pilier essentiel de la coopération pétrolière dans la région ; ceci en raison de l’importance de sa production et de la puissance financière qui en découle. C’est ainsi le West African Gas Pipeline (WAGP), un des projets phares de la coopération énergétique dans la région, devra transporter du gaz issu de l’exploitation du pétrole du sud du Nigéria vers le Bénin, le Togo et le Ghana. De même, un pipeline, actuellement en construction, transportera du brut nigérian vers le Burkina Faso, en passant par le Ghana et la Côte d’Ivoire d’ici à l’horizon 2020.

    Pétrole et extraversion étatique 

    L’inscription du pétrole africain, plus particulièrement celui du Golfe de Guinée, dans les stratégies de puissance et de sécurité des grandes puissances constitue un frein important au développement de la coopération pétrolière entre pays de l’Afrique de l’Ouest. Le pétrole qui y provient est alors à majorité exporté vers les principaux partenaires économiques de cette région que sont l’Europe (22%), la Chine (18%) et les Etats-Unis (12%). L’extraversion de l’industrie pétrolière ouest africaine a pour principale conséquence le développement d’une économie de rente incapable de soutenir les missions de développement et d’indépendance énergétique dévolues à l’exploitation du pétrole. Elle ne permet pas un renforcement de la coopération pétrolière entre les pays de la région qui, pour la plupart, privilégient leur statut dans le projet géopolitique des grands consommateurs au détriment de toute véritable coopération sud-sud.

    Le pétrole constitue l’essentiel des relations commerciales entre certains producteurs traditionnels d’Afrique de l’Ouest et leurs partenaires étrangers. Le Nigéria, premier producteur du continent et douzième mondial, entretient une relation pétrolière privilégiée avec les Etats-Unis auxquels il vend près de la moitié de sa production journalière. Son statut dans la stratégie de sécurisation énergétique des Etats-Unis réduit sa capacité à jouer pleinement le rôle de moteur de la coopération pétrolière sous régionale qui lui incombe pourtant. De même, l’importante place qu’occupe la multinationale Shell dans son amont pétrolier, ainsi que l’entrée en scène récente de la Chine, constituent des causes supplémentaires de l’insuffisante implication du Nigéria dans la coopération pétrolière avec ses voisins.  Le premier producteur africain de pétrole déplace ainsi le centre de gravité de son développement de sa sous région vers l’occident et vers les pays émergents d’Asie.

    Plus de producteurs et paradoxalement moins de coopération 

    Si la multiplication des producteurs de pétrole ouest-africains peut être considérée comme un avantage (plus de pétrole devrait réduire les prix et multiplier les options des clients), elle a eu un impact négatif sur la volonté de coopérer. En effet, le caractère stratégique du pétrole pousse les pays pétroliers à préférer vendre leur production à des pays qui, en plus de leur garantir des bénéfices relativement importants, peuvent leur servir d’allié de revers en cas de crise. Il n’est donc plus étonnant que les plus grands clients du pétrole ouest-africain se recrutent parmi les pays les plus puissants au monde. En outre, la rivalité entre candidats au leadership dans la région - Ghana, Côte d’Ivoire et Nigéria - limite les projets de coopération. Le Nigéria voit l’entrée des deux premiers dans le cercle des pays producteurs de pétrole comme une contestation du leadership pétrolier qu’il exerce traditionnellement dans la région. Il devient alors difficile pour lui de soutenir des initiatives susceptibles de remettre en question son statut.

    La multiplication des pays producteurs de pétrole en Afrique de l’Ouest est à l’origine de plusieurs contradictions. Tout d’abord, elle n’a pas encore permis le développement des anciens comme des nouveaux producteurs de la région. S’il est encore tôt pour juger de l’impact économique de l’exploitation du pétrole dans des pays comme le Ghana ou la Côte d’Ivoire, le développement d’une économie de rente et l’usage des revenus  pétroliers à des fins politiciennes réduit fortement les chances de développement. En outre, l’insuffisante prise en compte du contenu local dans la gestion de l’industrie pétrolière, comme des autres industries extractives d’ailleurs, est une des causes du manque d’autonomie stratégique, politique et économique des pays de l’Afrique de l’Ouest. Ensuite, le manque de coopération pétrolière dans la sous région accentue le déficit énergétique qui la caractérise, ainsi que le développement du commerce frauduleux de pétrole et la perte d’importantes quantités de brut par torchage.

    Pour un renouveau de la coopération pétrolière 

    Le développement en Afrique de l’Ouest dépend de la volonté des pays de la région de mettre en commun leurs capacités respectives. Il ne s’agit pas pour eux de renoncer à leur intérêts propres, mais de se servir de la coopération sous-régionale comme tremplin vers une indépendance stratégique, politique, économique et énergétique plus sûre. Le dynamisme pétrolier que connait l’Afrique de l’Ouest aujourd’hui constitue une chance de puissance et de développement indéniable. La Banque mondiale estime, par exemple, que le Bénin, le Togo et le Ghana pourraient économiser près de 500 millions de dollars en coûts énergétiques sur une période de 20 ans grâce au gaz issu de l’exploitation du pétrole nigérian et passant par le WAGP. Les gains en termes financiers et économiques en seraient décuplés.

    En outre, il n’est pas possible de considérer que la coopération est nécessairement contraire à tout projet de puissance. Si la quête de la puissance se fonde sur les seules capacités de l’acteur étatique, il est important de les adosser sur des alliances même conjoncturelles. Le Nigéria doit accepter de jouer le rôle de pivot de la coopération pétrolière en Afrique de l’Ouest pour se créer une zone d’influence propice à son projet de puissance. Il a intérêt à encourager cette coopération pour lutter efficacement contre le commerce illicite du brut siphonné de ses pipelines. Le Ghana, la Côte d’Ivoire et les autres Etats producteurs tireront également avantage du développement de la coopération pétrolière à cause de leur dépendance au pétrole et aux infrastructures de raffinages nigérians.

    Coopérer ou « périr »

    La coopération et l’intégration énergétiques peuvent jouer un rôle important dans le devenir des Etats ouest-africains. Le Conseil mondial de l’énergie recense au moins quatre avantages d’une meilleure collaboration énergétique en Afrique de l’Ouest : une plus grande sécurisation de la fourniture, une meilleure efficacité économique, une meilleure qualité environnementale et un plus grand déploiement des sources d’énergie renouvelables. La place du pétrole dans la coopération énergétique doit se faire plus grande. Ceci, à cause de la valeur hautement stratégique de cette ressource et de la capacité qu’elle a de servir de capital initial à la diversification économique. Le cas de pays comme le Qatar ou les Emirats arabes unis est édifiant à cet effet. Par contre, un plus grand attachement à la bonne gouvernance, à la démocratie et à la mise en œuvre de stratégies de contenu local constitueraient un plus pour les Etats africains.

    Le pétrole est un atout indéniable pour le développement des pays de l’Afrique de l’Ouest. Il offre de nombreuses possibilités de croissance et constitue un outil d’émancipation stratégique. Si l’importance du pétrole dans la géopolitique au plan mondial n’est plus à démontrer, son rôle en tant que moteur de la coopération en Afrique de l’Ouest reste à mettre en œuvre. Une volonté politique en faveur de la construction de capacités axées sur la coopération sous-régionale permettra, à coup sûr, aux pays d’Afrique de l’Ouest de tirer leur épingle du jeu pétrolier qui a cours dans le Golfe de Guinée.

    Le Dr. Alain Fogue Tedom est Directeur du Centre africain d’études stratégiques pour la promotion du développement et de la paix (CAPED) et enseignant à l'Université de Yaoundé II, Soa. Fabrice Noah Noh est doctorant en relations internationales et stratégiques, à l'Université de Yaoundé II, Soa, Cameroun.

    La version anglaise : The Role of Regional Cooperation in the context of West African Oil

     

    Cet article a été publié dans GREAT insights volume 3, numéro 7 (juillet/août 2014) 

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