Conférence des donateurs pour le Mali: le risque des solutions "low cost"

La conférence des bailleurs pour le Mali du 15 mai organisée à Bruxelles par l’UE et la France “en collaboration étroite avec le Mali” a rassemblé des promesses de fonds dépassant les 3 milliards d’euros. Elle a certes rassemblé plusieurs centaines de participants du Sahel, d’Afrique de l’Ouest et du monde, mais était-ce juste une nouvelle grand-messe entre donateurs et bénéficiaires ? Les déclarations qui ont suivi la conférence seront tout aussi frustrantes. Le verre est-il à moitié vide ou à moitié plein ?

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      Renaissance électorale?


      A bien des égards, le verre est déjà à moitié rempli car le pays est à mi-chemin vers les prochaines élections présidentielles, sensées remettre le pays sur la voie du développement. Plus vite la population renoue avec les élections et les débats, plus vite la démocratie en bénéficiera. Avec l’internationalisation de la résolution de la crise (via l’ONU et un rôle moteur des pays de la CEDEAO), les solutions régionales devraient être plus efficaces et plus durables.

      Une présence forte des Nations Unies et des pays voisins réduira l’influence potentiellement néocoloniale française, et la fin de la Françafrique n’en sera que plus proche. Le Mali est un test pour un nouveau style  de politique française en Afrique.

      Suite à la défaite des groups djihadistes à Gao, Tombouctou et Kidal, le grand défi concerne désormais la transition post-conflit. Les spécialistes des crises ont déjà beaucoup écrit sur la façon de traiter les urgences, l’insécurité, les divisions et les tensions au Mali en accord avec la feuille de route du gouvernement malien : le scénario concerne les urgences humanitaires (une réalité indéniable), les négociations, la réconciliation politique (certains parlent de « reconstruction politique »), les anciens griefs dans le Nord, l’hétérogénéité ethnique et territoriale, les racines historiques, la contrebande, les trafics et le commerce informel, le rôle des femmes, le recours aux groupes et traditions locaux, l’importance d’avoir des leaders pacifiques et honnêtes contre la corruption, la construction de l’Etat, la participation de la diasporale soutien au secteur privé. La transition post-crise était en effet un point important de l’agenda de la conférence.

      Le Mali : un creuset de mythes et de légendes


      Le Mali est à la mode. Le pays a un fort pouvoir de séduction et d’attraction. C’est le creuset d’une myriade de cultures fascinantes, de mythes et de légendes, un manuscrit de récits inspirants. Un endroit rêvé pour les espions, les investissements extractifs, les expérimentations d’armes, les trafiquants de drogue, les romanciers et les documentaristes. Jusque là, rien d’extraordinairement nouveau pour les praticiens du développement et les experts de l’Afrique : si le verre est à moitié plein, le futur de Mali sera radieux.

      Une approche européenne globale ou incohérente, avec la France au volant?


      Côté européen, il y a aussi de bonnes raisons d’etre optimiste : l’UE déploie sa « diplomatie du chéquier » en annoncant des millions d’euros alloues et prets d’etre déboursés. Elle va insister sur la globalité de son approche, aligné sur la stratégie de développement du gouvernement. Elle va dresser une longue liste des actions coordonnées menées en vertu de différentes bases légales et selon ses diverses structures hiérarchiques.

      Ceci dit, l’Europe sera représentée par de nombreuses têtes (Chef de délégation, chef de la mission EUTM), chapeaux (Représentant spécial pour le Sahel, coordinateur pour le Sahel, ambassadeurs nationaux et envoyés spéciaux), bérets et casquettes (les chefs de EUTM et le RSUE Sahel sont français) dans la région, sans leadership politique clair : de nombreuses clés resteront dans des mains françaises, avec des tentatives de les transmettre temporairement à l’UE ou à d’autres sources de financement.

      A moitié plein ? Ce qui est nouveau dans l’affaire malienne, c’est la largesse du consensus paradoxal visant à revitaliser et à légitimer la France comme gendarme de l’Afrique de l’Ouest, en contradiction avec les discours précédents des relations Afrique-Europe centrés sur l’appropriation africains, une relation d’égal à égal, une stratégie conjointe de continent à continent. Ce qui est aussi nouveau, depuis l’épisode de l’intervention française en Côte d’Ivoire en 2010, c’est l’émergence d’un sous-modèle dans les relations Afrique-Europe, caractérisé par les éléments suivants:

      • En Afrique de l’Ouest, le cadre de la relation intercontinentale laisse la place aux cadres régionaux.
      • La France poursuit son action bilatérale dans le Sahel avec la bénédiction tant de l’UE que de la prétendument compétente organisation régionale (CEDEAO) et même de la Commission de l’Union africaine dirigée par une personne historiquement opposée aux interventions françaises.
      • La région est traitée comme une partie du grand voisinage européen et cela semble être généralement accepté.
      • L’UE et la France sont militairement et financièrement faibles a tel point qu’elles ne peuvent plus mettre en œuvre leurs stratégies sahéliennes régionales sans la coopération multilatérale
      • Les pays de la région elle-même, en cautionnant l’action française et européenne, reconnaissent indirectement leur impuissance mais aussi le fait que l’insécurité dans le nord-Mali a été créée artificiellement par des puissances étrangères.
      • La communauté internationale va fournir des tonnes d’aides sans prendre le temps de tirer les leçons de plusieurs décennies d’assistance inefficace.
         

      Dynamiques de développement, dynamiques démocratiques, ou bulle d’aide?


      Les troupes étrangères (africaines) seront déployées au Mali, le marche de l’aide va fleurir, le Mali deviendra la destination à la mode pour toutes sortes d’experts de la médiation et la réconciliation pendant des mois, peut-être des années, les problèmes du lien entre développement et sécurité vont être traités de façon à se renforcer mutuellement.

      Cependant, il est probable que les problèmes politiques et les griefs ne soient pas attaqués de front et immédiatement car tout un chacun sera trop occupé à absorber les lignes budgétaires de la solidarité internationale, et la plupart des rapports blâmeront l’absence de volonté politique. De quelle résilience devrons nous alors parler ?

      Le pays, sous une forte pression internationale, semble se hâter pour organiser des élections. Les experts sont dubitatifs sur la légitimité de la commission de réconciliation, sur l’impunité de la junte, et les diplomates semblent privilégier la paix sur la justice. Le Mali se dirige droit vers une solution de gouvernance inefficace, coûteuse (mais « low cost » en termes de services) qui ne sera pas favorable à un développement inclusif. Le risque de se précipiter vers les processus politiques formels est de devenir dépendant des anciennes forces politiques et sociales favorables au statu quo, menaçant ainsi le besoin ancien d’ouverture du système politique et administratif, et menant le pays dans un tunnel bien plus sombre, et bien plus long.

      Le test de l’élite malienne sera de répondre efficacement aux besoins de développement. Les engagements européens seront testés à l’aune d’un soutien international continu pour des politiques de développement inclusives et étroitement contrôlées.

      Damien Helly est chargé de mission pour l’action extérieure de l’UE. Suivez Damien sur Twitter: @DamienHelly

      Ce blog présente les positions personnelles de l’auteur et non celles d’ECDPM.

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