Miser sur l’industrie extractive en Afrique pour une transformation économique inclusive
L’Afrique dispose de réserves en minerais parmi les plus importantes au monde, avec trois-quarts des ressources mondiales de platine, la moitié des diamants et du chrome et un cinquième de l’or et de l’uranium. Le continent peut également se targuer de posséder de vastes réserves de charbon, de cuivre, de cobalt et de minerai de fer et d’abriter d’immenses réserves de gaz et de pétrole. Ces ressources représentent une part significative des exportations de la moitié des pays africains.
Malgré plus d’un demi-millénaire d’exploitation commerciale de ces ressources, le continent demeure l’une des régions géologiques les moins connues de la planète ; la valeur et l’ampleur totale des réserves minières à découvrir restent de l’ordre de la conjecture. S’il faut en croire les récentes découvertes de fer, de gaz, d’or et de charbon en Guinée, au Ghana, au Liberia, en Tanzanie et au Mozambique, l’abondance des ressources minières africaines permettrait de financer l’agenda de transformation du continent. Les minerais pourraient changer la donne, s’ils étaient transformés pour contribuer effectivement au développement humain. Pour l’instant, le secteur minier africain représente tout juste 10% de la production mondiale. On dit également qu’à l’échelle planétaire, 80% des projets miniers concernent quatre ressources minérales essentielles : le minerai de fer, le cuivre, l’or et le nickel, tous présents en Afrique. Le continent apparaît donc encore comme le futur terrain de jeu des industries extractives.
Paradoxalement, la plupart des pays africains les plus riches en ressources figurent parmi les plus mal lotis de l’Indice de développement humain. L’Angola, notamment, avec un des taux de mortalité maternelle les plus élevés au monde, la Guinée équatoriale, avec un des taux de mortalité infantile les plus élevés au monde et la République démocratique du Congo figurent en bas de classement dans tous les domaines considérés par l’indice. C’est le Niger, le plus gros exportateur d’uranium, qui occupe la dernière place.
Les mauvais résultats des économies riches en minéraux sont liés à divers facteurs : un secteur extractif africain faiblement intégré à l’activité socio-économique nationale ; des exportations de matières premières à faible ou sans valeur ajoutée ; des liens faibles en amont et en aval avec le reste de l’économie. Les effets du « syndrome hollandais » de même que la faiblesse des cadres juridique et réglementaire ont en outre aggravé la situation en compromettant la transparence et la redevabilité. On estime le volume des flux financiers illicites à 50 milliards de dollars par an au cours des dix dernières années, soit davantage que l’aide bilatérale versée par les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à la région. Ce chiffre inclut les ententes sur les prix et l’évasion fiscale. Entre 2005 et 2009, par exemple, un demi-million de salariés des mines de cuivre zambiennes avaient un taux d’imposition supérieur à celui des sociétés minières multinationales opérant dans le pays. Inutile de dire que le continent a été grugé de montants astronomiques qu’il aurait pu utiliser pour booster le développement humain et investir dans des infrastructures ou la fourniture de services.
Malgré ces nombreux défis, de réels signes de changement apparaissent. Le paysage géopolitique de même que la situation régionale et nationale évoluent, permettant de mobiliser l’industrie extractive du continent au profit d’une transformation économique inclusive. En schématisant, on peut répartir les éléments de changement en deux catégories : les facteurs structurels et l’évolution de la posture politique.
Exploiter les principaux facteurs structurels
Ces dix dernières années ont été marquées par un super-cycle du prix des matières premières, induit par une très forte demande de ressources minérales à l’échelle mondiale, et en particulier de la part d’économies émergentes comme l’Inde et la Chine. Cette demande a suscité de nouveaux partenariats et modifié la façon de faire des affaires en créant des opportunités économiques sans précédent. Pour être en véritable position de force dans les négociations, l’Afrique doit maximiser la demande de matières premières minérales. Chaque fois qu’elle est en position de force, elle doit imposer l’enrichissement local des minerais et négocier des accords de licence plus favorables. Le Botswana est un exemple à méditer : il a connu près d’un demi-siècle de croissance économique ininterrompue grâce aux revenus du diamant et à la valorisation de ce produit au travers de sa joint venture avec De Beers. Le diamant reste le principal moteur de l’économie botswanaise, puisqu’il représente bon an mal an environ 70% des recettes d’exportation du pays, 50% des recettes publiques et 40% du PIB.
Les filières mondiales aussi ont évolué pour mieux s’interconnecter. Aujourd’hui, il n’est pas rare que divers stades et activités d’une même chaîne de production soient répartis dans plusieurs pays. Les économies africaines peuvent profiter de ces opportunités en s’insérant à un niveau de la chaîne, en renforçant leurs capacités dans des tâches spécifiques, sur une base concurrentielle mondiale ou dans le cadre d’une plus large stratégie de diversification à partir de leurs exportations de ressources. Il s’agit donc de saisir ces occasions pour moderniser et pérenniser les emplois, stimuler une croissance inclusive en s’orientant vers des produits à plus forte valeur ajoutée, améliorer les compétences et les aptitudes, et donner accès à la connaissance, à des infrastructures et aux technologies. L’Afrique pourra ainsi entrer plus facilement sur de nouveaux marchés offrant des possibilités d’emploi productif et reprendre des filières mondiales à des pays comme la Chine, l’Inde et Taïwan, où le coût de la main-d’œuvre augmente.
Traditionnellement, on associe volontiers l’industrie minière africaine à des entreprises non africaines, du fait même que les minéraux extraits sont expédiés en vrac vers d’autres continents. L’intégration régionale pourrait étendre les liens continentaux par-delà la filière minière proprement dite en ajoutant des liens en amont, secondaires et latéraux pour désenclaver le secteur minier africain. En investissant dans des couloirs de développement régionaux (dans le cadre des négociations sur les contrats miniers), on pourrait réduire la fracture de développement infrastructurelle. Le couloir de développement Conakry/Buchanan qui recouvre la Guinée, le Liberia et la Côte d'Ivoire doit faciliter l’exploitation de grands gisements de minerais dans le sud de la Guinée, les relier à la ligne de chemin de fer Conakry/Kankan et relier les gisements de minerais situés à l’ouest de la Côte d'Ivoire au port libérien de Buchanan.
Évolution de la posture politique
Cela fait belle lurette que divers plans africains et stratégies nationales et régionales de développement envisagent les ressources extractives comme vecteur de modernisation de l’Afrique, à commencer par le Plan d’action de Lagos et, plus récemment, la Vision minière pour l’Afrique, adoptée par les dirigeants de l’Union africaine.
Cette Vision, contrôlée et dirigée par les Africains, propose un plan de réforme crédible de l’extraction minière, mais pas seulement. Elle invite à une exploitation transparente, équitable et optimale des ressources minérales afin de soutenir le développement. Elle promeut la transformation et la valorisation locale des matières premières afin de constituer un capital humain, financier et institutionnel capable de survivre à l’épuisement de la ressource minière. Elle suggère par ailleurs un espace fiscal élargi et une fiscalité souple afin de permettre aux pays africains de mettre les rentes reçues au service du développement et d’apporter une valeur ajoutée par l’enrichissement local des minerais ; elle propose, enfin, une approche multisectorielle dans la politique minière de développement.
Des pays comme le Mozambique, l’Éthiopie et le Lesotho se réfèrent déjà à cette Vision pour réformer leurs propres politiques minières, de même que leurs cadres juridique et réglementaire. La communauté internationale y adhère également.
Pour opérationnaliser cette Vision et son Plan d’action, un Centre africain de développement minier (CADM) a été mis sur pied, chargé de promouvoir le rôle transformationnel des ressources minérales par la multiplication des liens économiques et sociaux. Une des missions premières du CADM est de veiller à ce que l’Afrique puisse correctement exprimer et intérioriser ses intérêts et ses préoccupations dans ce secteur lucratif. C’est le CADM, par exemple, qui coordonne les efforts de renforcement des capacités en vue de négocier de meilleurs contrats et d’obtenir de meilleurs accords au profit et pour la prospérité de chacun ; c’est lui aussi qui veille à ce que le secteur rende des comptes sur le plan écologique et social. C’est un organe central et stratégique de coordination, dont les missions vont de l’optimisation de l’espace politique à la montée en puissance des activités d’exploration géologique en passant par l’amélioration de la viabilité des petits sites miniers, la résorption des manquements graves dans la gouvernance des ressources naturelles, la création de liens avec les autres secteurs économiques et sociaux et la constitution d’une expertise en matière de recherche et d’analyse politique.
Les Africains reprennent manifestement les choses en mains. En Namibie, les investisseurs étrangers qui veulent exploiter des minerais doivent désormais conclure un partenariat avec un organisme public minier ; la République démocratique du Congo est en train de revoir son code minier afin de permettre à l’État de détenir au minimum 35% des parts des projets miniers. Profitant de la hausse des prix du cuivre sur les marchés internationaux, la Zambie est parvenue à porter l’impôt sur les sociétés minières à 35% et à introduire un impôt de 10% sur les bénéfices exceptionnels en sus des royalties sur la production qui s’élevaient déjà à 6%. Cette décision a rapporté 415 millions de dollars de recettes supplémentaires à l’État zambien.
Dans leur esprit, ces mesures récentes ne diffèrent pas de celles prises par la Mongolie, le Pérou, l’Indonésie, la Pologne, voire même les États-Unis afin d’accroître les impôts et les royalties. D’autres pays ont introduit des taxes à l’exportation sur les matières premières, ou sont en passe de le faire. En Indonésie, les intérêts étrangers sont plafonnés à 49%, au bout de dix années d’exploitation, tandis qu’au Canada, le gouvernement fédéral analyse toutes les grosses acquisitions étrangères afin de garantir un bénéfice net à l’économie du pays.
Avec l’avènement de négociations de contrat plus fructueuses, les gouvernements commencent à réexaminer et à analyser les précédents accords pour s’assurer de leur équité. Sept pays ont récemment renégocié des contrats. Jusqu’au mois dernier, par exemple, l’uranium extrait au Niger alimentait une ampoule française sur trois. Le chiffre d’affaires total d’Areva – aux alentours de 9 milliards de dollars – n’était en grande partie possible que grâce au Niger, son principal fournisseur, dont le budget public annuel n’avoisinait que les 2 milliards de dollars. La récente renégociation a abouti à un accord plus juste et plus équitable pour le Niger. Cet accord octroie davantage de contrôle au gouvernement et prévoit le versement d’une compensation par Areva pour l’amélioration des infrastructures. Il y a ensuite l’enquête mémorable de la Guinée sur le minerai de fer de Simandou, le plus grand gisement inexploité au monde. Cette enquête a recommandé que les concessions minières accordées aux sociétés BSG et Vale leur soient retirées au motif qu’elles avaient été obtenues par prévarication. Certains leaders mondiaux de la production d’acier et de l’extraction du minerai de fer se sont déclarés intéressés par la concession, rendant la Guinée à nouveau maître du jeu. On ignore cependant si la Guinée parviendra à faire de Simandou le maître-atout d’un changement profond dans ce pays parmi les plus pauvres de la planète.
Enfin, la co-responsabilité gagne du terrain. Des acteurs internationaux prennent enfin leurs responsabilités. Des dispositifs comme le Processus de Kimberly pour les diamants et l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE) pour les minerais sont louables. Malgré leurs faiblesses, ils contribuent à améliorer la transparence et la redevabilité dans les négociations de contrat. Mais beaucoup reste à faire.
L’Afrique va devoir passer d’un modèle de croissance pour partie financé par le prix des matières premières et une demande en hausse, mais n’occupant qu’un pour cent de la main-d’œuvre du continent, à un modèle de transformation dans lequel ces ressources ne constituent qu’un ingrédient parmi d’autres et dont le fer de lance est l’industrialisation.
Dr Carlos Lopes est Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique, au niveau du Sous-secrétaire général des Nations unies.
Cet article a été publié dans GREAT insights volume 3, numéro 7 (juillet/août 2014)