La place de l’industrie extractive dans la transformation industrielle de l’Afrique

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    Notre rédactrice invitée, Isabelle Ramdoo, a rencontré S.E. Fatima Haram Acyl, Commissaire de l’Union africaine en charge du commerce et de l’industrie.

    L’an dernier, le 50ème anniversaire de l’Union africaine (UA) a impulsé un mouvement de renaissance de l’Afrique tandis que l’Agenda 2063 plaçait l’industrie extractive au cœur de la transformation industrielle du continent. Puis-je vous demander quels axes prioritaires les pays se sont fixés pour exploiter leur potentiel minier ? 

    Commissaire Fatima Haram Acyl : L’Afrique doit impérativement réformer ses structures. Cette transformation structurelle conditionne la croissance et le développement économiques nécessaires à la création d’emplois durables qui amélioreront le bien-être des Africains. Cette transformation dépend de la gestion et de l’utilisation efficaces des ressources naturelles africaines, et en particulier des ressources minérales et de l’industrie extractive.

    Pour exploiter pleinement leurs ressources minérales, les gouvernements africains doivent mener une politique d’extraction minière sous-tendue par deux objectifs : 

    • premièrement, le financement de la croissance et du développement économiques. Les gouvernements doivent en effet veiller à ce que les ressources minérales leur apportent des revenus et des recettes adéquates, qu’ils pourront réinvestir dans des infrastructures essentielles, de même que dans la santé et l’éducation des citoyens, deux aspects fondamentaux du développement ; et
    • deuxièmement, jeter les bases et les fondements de l’industrialisation et de la transformation économique de leur pays, grâce à la valorisation de ces ressources naturelles et la multiplication des liens entre celles-ci et les économies locales.

    En 2009, les Chefs d’État de l’UA ont entériné la Vision minière pour l’Afrique (VMA), qui constitue le principal cadre continental en faveur d’une exploitation transparente, équitable et optimale des ressources minières. Dans quelle mesure cette vision est-elle aujourd’hui traduite en actes ? Et dans quelle mesure les pays et les régions ont-ils intégré ce cadre dans leurs propres processus régionaux et nationaux ? 

    Je tiens tout d’abord à adresser mes remerciements aux pays qui ont pleinement adhéré à cette Vision minière pour l’Afrique, dont l’objectif est d’assurer une gestion efficace des ressources naturelles africaines, au service du développement et de la transformation structurelle de notre continent, et pas seulement d’un accroissement des recettes. Cette vision commune est celle d’un secteur minier africain fondé sur la connaissance, catalyseur et contribuant à une large croissance et au développement, qui s’intègre pleinement à un marché africain commun à travers : 

    (i)     une interdépendance en aval dans l’enrichissement des minerais et la production ;

    (ii)   une interdépendance en amont des biens d’équipement miniers, des consommables et des industries de services ;

    (iii)  des liens avec les infrastructures, l’énergie, la logistique, les communications, l’eau et le développement technologique, ce qu’on appelle le développement des ressources humaines et la recherche-développement  (R&D) ;

    (iv)  des partenariats mutuellement bénéfiques entre l’État, le secteur privé, la société civile, les communautés locales et d’autres acteurs ;

    (v)    une connaissance exhaustive du patrimoine minier ;

    (vi)  et dernier point, et non des moindres, un secteur minier durable et bien régi qui produit effectivement et génère des rentes sur les ressources, qui est sûr, sain, tient compte des aspects genre et ethnie, de l’environnement, et qui est socialement responsable.

    Depuis son adoption, la Vision minière pour l’Afrique est concrètement devenue le cadre de référence du développement des ressources minières sur notre continent. Pour l’heure, la Commission de l’Union africaine (CUA) interagit avec les principales parties prenantes via le Centre africain du développement minier (CADM). Parmi les principales parties prenantes associées à la mise en œuvre de la VMA figurent  le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), la Banque africaine de développement et la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies. La VMA est actuellement utilisée par plusieurs pays africains, tels que le Mozambique, l’Éthiopie, le Lesotho et la Tanzanie pour réformer leurs propres politiques et cadres juridiques et réglementaires miniers ainsi que par certaines Communautés économiques régionales (CER) pour harmoniser leurs stratégies politiques en matière d’exploitation minière.

    La richesse de leur sous-sol n’a guère profité à de nombreux pays africains. Quels sont les défis qu’ils doivent encore relever pour inciter l’industrie extractive à contribuer à leur développement durable ? Quelle place la Commission de l’UA (CUA) devrait-elle occuper dans l’appui aux réformes en cours ?

    Si les pays africains n’ont pas réussi à mettre en œuvre des politiques qui leur auraient permis d’optimiser l’usage des ressources minérales au profit d’un développement durable, c’est par manque de capacités, notamment au niveau de la gestion de l’industrie proprement dite, mais aussi de la gestion économique au sens large pour assurer l’expansion économique. Des failles dans leur gouvernance ont en outre empêché les pays africains de gérer efficacement leurs ressources. D’où l’impérieuse nécessité de remédier à ces problèmes de capacités et de gouvernance.

    Par ailleurs, les gouvernements africains ne disposent ni des ressources ni des aptitudes nécessaires à une exploitation complète et optimisée des ressources naturelles du continent. Ils ont besoin d’investissements privés, de capitaux privés, des technologies, du savoir-faire et des capacités entrepreneuriales du secteur privé.

    La CUA se propose de convertir la volonté politique en solutions communes à ces défis. La Vision minière pour l’Afrique encadre l’assistance technique fournie par l’entremise du CADM et d’autres partenaires, en assurant l’appropriation de ces interventions par les gouvernements africains. La CUA continuera d’insuffler une dynamique politique à ces réformes et de suivre et de mutualiser les avancées et les bonnes pratiques au fur et à mesure de leur évolution.

    La conversion des ressources minières en grandes perspectives économiques dépendra également de la mise en œuvre d’autres réformes essentielles, telles que celles énoncées dans le Programme de développement des infrastructures en Afrique (PIDA), le Plan d’action pour le développement industriel accéléré de l’Afrique (AIDA), le Plan d’action pour stimuler le commerce intra-africain (BIAT) et le Programme détaillé de développement de l’agriculture africaine (PDDAA). Quelles initiatives ont été prises pour trouver des synergies et des complémentarités entre l’industrie extractive et ces divers plans et programmes afin de créer des liens et de libérer le potentiel économique ?

    Comme vous le savez, AIDA, BIAT et la VMA sont des initiatives industrielles et commerciales prises par la Commission de l’UA ; leur mise en œuvre bénéficie donc déjà de nombreuses collaborations et synergies entre les différents services de la Commission.

    D’autres synergies interservices existent par ailleurs autour de cadres connexes comme le Programme détaillé de développement de l’agriculture africaine (PDDAA) et le Programme de développement des infrastructures en Afrique (PIDA). La CUA est en train d’élaborer une stratégie des produits de base africains, par exemple, afin d’aborder la problématique dans sa globalité en s’appuyant sur l’ensemble des initiatives infrastructurelles, agricoles, industrielles et commerciales car il est clair que des complémentarités existent entre ces cadres et l’objectif commun de mutation structurelle de l’Afrique. Tous ces cadres s’inscrivent par ailleurs dans le plan stratégique 2014-2017 de l’UA et sont des composantes essentielles de l’Agenda 2063. Tous doivent par conséquent être mis en œuvre en gardant à l’esprit l’objectif commun, à savoir la transformation structurelle de l’Afrique  et le développement économique du continent.

    S.E. Fatima Haram Acyl est le Commissaire de l'Union africaine en charge du commerce et de l'industrie.  Isabelle Ramdoo est responsable adjoint du Programme transformation économique et commerce de l'ECDPM.  

    Version anglaise : The Role of the Extractive Sector in Africa’s Industrial Transformation

     

    Cet article a été publié dans GREAT insights volume 3, numéro 7 (juillet/août 2014) 

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