Le Tarif extérieur commun de la CEDEAO est-il une bonne nouvelle pour les paysans de l’Afrique de l’Ouest francophone ?

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C’est la question qui se pose après la validation du Tarif Extérieur Commun (TEC) CEDEAO (Communauté Economique Des Etats de l'Afrique de Ouest) en mars dernier à Praia (Cap Vert) par les ministres du Commerce de la région. Il faut se rappeler que tous les États membres de l’UEMOA (regroupant les pays de l’Afrique de l’Ouest francophone et la Guinée Bissau) sont aussi membres de la CEDEAO, et, qu’ainsi, le nouveau TEC CEDEAO remplacera le TEC UEMOA en vigueur jusqu’à présent (bien que les instances chargées du TEC UEMOA à Ouagadougou resteront en fonction).

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      La zone UEMOA s’alignera donc sur les taux de la CEDEAO, ce qui entraînera un changement des taux tarifaires appliqués sur un bon nombre de produits agricoles. La question est de savoir dans quel sens ce changement prendra lieux, sur quels produits, et dans quel ordre de grandeur.

      Des attentes fortes sur l’agriculture


      Les négociations ont révélé des différences profondes en matière de politique commerciale entre l’UEMOA et les États CEDEAO non-membres de l’UEMOA.  Le problème étant que les taux du TEC UEMOA, servant de base de négociations pour étendre l’Union Douanière à l’ensemble de zone CEDEAO, étaient bien trop bas au goût de ces derniers. Il a donc fallu trouver un terrain d’entente.

      C’est précisément ce moment de réflexion sur un rééquilibrage des droits de douane chez les États Membres de l’UEMOA pour accommoder le reste de la région qui a soulevé de nombreux espoirs chez les producteurs agricoles de l’Afrique de l’Ouest francophone. Ils y voyaient une occasion de « corriger » les taux UEMOA, qu’ils considéraient bien trop bas pour favoriser la production locale.

      De plus, la CEDEAO avait adopté en 2005 une politique agricole, l’ECOWAP, sous les auspices du  Programme Détaillé de Développement de l'Agriculture Africaine (PDDAA) du NEPAD. L’ECOWAP préconisait une revue soignée, au cas par cas, des droits de douanes applicables aux importations de denrées agricoles, animalières, forestières et halieutiques. Evidemment, cette revue n’excluait pas la possibilité d’une augmentation de la protection aux frontières.

      Légère augmentation, avec une augmentation prononcée sur la viande et le cacao

      La figure ci-dessous (tirée d’une étude en cours de rédaction à l’ECDPM sur le TEC CEDEAO et l’ECOWAP) apporte quelques éléments de réponse. En rouge, les taux des droits de douane des pays de l’UEMOA en vigueur, c’est-à-dire les taux appliqués, exprimés en pourcentage de la valeur déclarée du bien à l’entrée de la zone douanière, ce qu’on appelle les taux ad valorem. En bleu, les nouveaux taux CEDEAO applicables dès 2014.

      Taux appliqués sur les chapitres HS 1-24 (chapitres relatifs aux produits issus de l’agriculture)

      Pour une description des chapitres HS, cliquez ici.

      Quelles conclusions tirer du graphique ci-dessus? Tout d’abord, il faut tenir compte du fait que les moyennes présentées ne sont pas pondérées par les volumes d’importation dans la sous-région. Nous espérons pouvoir approfondir l’analyse dans ce sens dans le futur.

      Ceci étant dit, de façon générale, le TEC CEDEAO se calque sur le TEC UEMOA, avec une tendance à la hausse, ce qui n’est pas inattendu pour les raisons énoncées plus haut. Le Chapitre 2 (viandes et abats comestibles) fait l’objet d’une augmentation des taux non-négligeable de 7.25 points. Les producteurs de poulet et de viande bovines apprécieront. Il en va de même pour le Chapitre 18, couvrant le cacao et les préparations de cacao, secteur où la région dispose d’un avantage comparatif prononcé.

      On notera aussi les Chapitres 15, 16 et 19, c’est-à-dire les graisses et huiles animales ou végétales, les préparations de viande, de poissons et de mollusques, et les préparations à base de céréales. Par contre, les Chapitres 1 (animaux vivants) et 9 (le café, thé et épices) enregistrent une baisse du taux de protection de 7.5 et de 4.5 points.

      Le TEC CEDEAO impose un taux moyen assez faible de 6% sur les céréales non-préparées (Chapitre 10). On peut supposer que les préoccupations d’ordre social (c’est à dire les prix aux consommateurs) l’ont emporté sur les arguments visant à favoriser une production locale. Le cas du riz, dont le taux reste à 10%, est emblématique de ce choix éminemment politique. On observe aussi une escalade tarifaire entre les céréales (6%) et les farines (20%), ce qui peut signaler une envie de promouvoir la transformation locale de céréales, quel que soit leur provenance.

      De manière générale, on peut s’attendre à ce que bon nombre de filières (céréalières et laitières, notamment) soient déçues par les taux du TEC  – ce qui est, dans une certaine mesure, inévitable. Il faut comprendre que la protection de la production locale n’est pas la seule variable que les décideurs ont à prendre en compte. Il convient aussi de souligner que les négociations entre États membres de la CEDEAO ont été longues et compliquées, et que le TEC CEDEAO est avant tout un compromis entre États souverains, ayant chacun ses priorités économiques et sociales.

      De la conception à l’opérationnalisation


      Les défis relèvent à présent plus de l’opérationnalisation du TEC que de sa conception. On peut relever trois défis sur le court terme. Premièrement, la négociation de l’Accord de Partenariat Économique (APE) entre l’Union Européenne et l’Afrique de l’Ouest. Si une issue régionale n’est pas trouvée aux négociations, un accord bilatéral pourrait remettre en cause l’existence même du TEC.

      Deuxièmement, les négociations à l’OMC prévues par l’article XXIV et XXVIII du GATT dans le cas où l’application des taux du TEC CEDEAO mettrait certains États membres en violation de taux consolidés à l’OMC (ce qui est le cas pour une belle poignée de lignes tarifaires agricoles). La CEDEAO devra alors apporter des compensations, sous forme de rabaissement tarifaire, aux membres de l’OMC négativement affectés par la modification des droits consolidés. L’affaire se complique encore plus car les dispositions de l’article XXIV précisent que cette compensation tiendra compte des abaissements possibles enregistrés sur la même ligne dans les autres pays CEDEAO. Fonctionnaires, sortez vos calculettes !

      Finalement, il faudra veiller à la surveillance de la mise en application des taux du TEC CEDEAO dans les États membres. Cette dimension est cruciale et demandera une surveillance accrue de la part des instances régionales concernées, ainsi que des mécanismes de suivi solides.

      L’étude mentionnée auparavant se penche plus longuement sur ces problématiques. Elle devrait être publiée dans les semaines suivant la rentrée de septembre. Restez à l’écoute !

      Les opinions exprimées ici sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la position de l’ECDPM.

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