Les perspectives du commerce France-Afrique : L'APE et le secteur privé

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    La récente approbation de l’accord de partenariat économique (APE) entre l’Union Européenne (UE) et l’Afrique de l’Ouest (qui a précédé de peu l’APE UE – Afrique Australe) modifie en profondeur les perspectives des relations commerciales entre les deux continents. Dans cet article, le Conseil Français des Investisseurs en Afrique (CIAN), après avoir rappelé les modalités et le contenu de l’APE, expose le rôle que devrait jouer le secteur privé dans la mise en œuvre des APE durant les années à venir.

    L’APE UE-CEDEAO : un accord équilibré qui met un terme à 10 ans de discussions entre l’UE et l’Afrique

    L’APE UE-Afrique de l’Ouest (les 15 pays de la Communauté économique des États de l‘Afrique de l‘Ouest (CEDEAO) + la Mauritanie) a été approuvé par les Chefs d’Etat et de gouvernement le 10ème juillet à Accra. L’accord doit maintenant être ratifié par les parlements nationaux européens et africains.

    Cet APE est un accord de libre-échange et comporte un volet développement :

    • Pour les importations dans l’UE, l’ouverture aux produits CEDEAO est totale.
    • Pour les importations dans la CEDEAO, l’ouverture aux produits UE est partielle et graduelle : 75% des lignes tarifaires seront progressivement libérées sur 20 ans.
    • L’accord est assorti d’un programme d’accompagnement (dénommé le PAPED) d’un montant de 6,5 milliards d’euros financés par l’UE. Il sera élaboré et déployé par la CEDEAO sur la période 2015-2020 pour la mise à niveau du système productif de la région. Il est destiné à maximiser l’impact de l’APE et à en minimiser les risques : 

    - compenser une partie du manque à gagner fiscal des pays CEDEAO
    - soutenir les efforts de ces pays dans la mise en œuvre des réformes structurelles nécessaires (transition fiscale)
    - aider la région à construire des avantages compétitifs
    - financer les investissements d’infrastructures régionales nécessaires : chemins de fer, routes, énergie, interconnexion télécoms, etc.

    Après 10 ans de négociations difficiles, les deux parties sont parvenues à un accord maintenant considéré comme équilibré par les responsables politiques africains, dans la mesure où :

    • Une ouverture du marché à 75% maximum sur une période de 20 ans permet à la CEDEAO de continuer à protéger des industries et des secteurs exposés à la concurrence, ou des produits à fort impact fiscal, le choix lui appartient.
    • L’UE s’engage à mettre fin à ses subventions à l’exportation.
    • L’Accord sera révisé tous les cinq ans, d’après les résultats d’une étude d’impact effectuée au moyen d’un modèle d’analyse économique.
    • La CEDEAO bénéficie d’un moratoire de 5 ans, durant lequel elle n’effectuera aucun désarmement tarifaire.
    • Les mesures de sauvegarde du Tarif extérieur commun (TEC) de la CEDEAO seront incorporées dans l’APE, offrant ainsi à chaque pays la possibilité de protéger sa production intérieure en cas de nécessité.

    Jusqu’à un passé récent, les APE ont été impopulaires, rejetés en bloc par l’Afrique de l’Ouest qui n’avait ni Tarif extérieur commun (TEC) ni financement d’un programme d’accompagnement (PAPED), ni politique commerciale commune, encore moins de liste de produits sensibles. C’est
    maintenant chose faite.

    Mais le secteur privé n’a pas été associé au processus de négociation de l’APE et se retrouve aujourd’hui devant un fait accompli

    Le secteur privé, en Europe comme en Afrique, supposé être le principal acteur et bénéficiaire des APE, n’a jamais été réellement consulté ni associé à ces négociations, contrairement aux ONG qui, jusqu’ici, ont été les seules à se faire entendre en dénonçant les risques d’une application aveugle du libre-échange dans la relation entre pays du nord et du sud, structurellement asymétrique.

    A ce jour, le secteur privé ne sait pas avec précision ce qui a été négocié au sujet :

    • Des lignes tarifaires faisant partie des 25% qui ne seront pas libéralisées : quelle priorité donnée par la CEDEAO à la protection des produits à fort impact fiscal ou aux produits CEDEAO exposés à la concurrence, par exemple les produits agricoles ?
    • Du calendrier de démantèlement : On sait seulement que la région Afrique de l’Ouest a retenu quatre groupes de produits, en fonction de leur degré de sensibilité :

    a) pour les produits libéralisés 5 ans après le début de la mise en œuvre de l‘APE
    b) pour les produits libéralisés 15 ans après le début de la mise en œuvre
    c) pour les produits libéralisés 20 ans après le début de la mise en œuvre
    d) pour les produits sensibles qui ne seront pas libéralisés.

    Jusqu’ici, les études d’impact de l’APE ont davantage traité la question des recettes douanières que celles de la protection et de la compétitivité sectorielles, de la valeur ajoutée et de l’emploi. Néanmoins, les filières dans la CEDEAO qui seront impactées par l’APE sont connues :

    • Coton/ Textiles / Vêtement
    • Agro-alimentaire : pêche, élevage, alimentation
    • Cosmétique / corps gras / huiles alimentaires
    • Chimie : pesticides, insecticides, fongicides, peintures
    • Sacheries et emballage
    • Matériaux de construction
    • Allumettes, cigarettes
    • Filière automobile : produits semi-finis destinés aux voitures, pneumatiques

    Il est donc nécessaire que le secteur privé obtienne rapidement le contenu complet de l’Accord pour connaître précisément ce qu’il en est en dans ces filières.

    Dans ces conditions, trois impératifs s’imposent au regard de la période transitoire de cinq ans qui vient de démarrer :

    1) Recueillir l’avis du secteur privé sur le contenu du Programme d’accompagnement (PAPED) dont des éléments sont prévus en faveur des entreprises : promotion de l’investissement, appui aux organisations intermédiaires, formation et renforcement du capital humain, accès aux services financiers, amélioration de l’environnement des affaires, appuis sectoriels, mise à niveau des entreprises.

    2) Informer et former rapidement les entreprises, secteur par secteur, sur la portée et les conséquences possibles de l’APE, afin de combler le déficit de communication dont souffre l’APE auprès des organisations professionnelles en Afrique de l’Ouest comme en France.
    3) Elaborer des scénarios pour mesurer les conséquences par secteur et par pays, dans un cadre régional.

    La Côte d’Ivoire, qui représente 50 % de l’économie de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et dont l’économie est la plus diversifiée, est la première concernée par cette situation nouvelle. Par exemple, la Confédération Générale des Entreprises de Côte d‘Ivoire (CGECI) pourrait jouer un rôle de leader régional du secteur privé et comme interlocuteur des administrations. Les organisations patronales sont en effet mieux placées que l’administration pour informer et former leurs adhérents et défendre leurs intérêts.

    Qu’apporte l’APE au secteur privé en général ?

    • Une réduction généralisée du prix des biens de consommation importés de l’UE
    • Une baisse des coûts de production industrielle (exonération des droits de douane sur les biens d’équipement et intrants importés de l’UE)
    • Une occasion de grandes réformes structurelles, en particulier fiscales : incitation à remplacer la fiscalité de porte (taxation des importations et des exportations) par une fiscalité intérieure moderne (TVA)
    • La fin des subventions européennes aux produits agricoles exportés vers les marchés d’Afrique de l’Ouest (l’UE s’y est engagée)
    • Des opportunités nouvelles pour des investisseurs étrangers intéressés à produire et commercialiser sans droit de douane sur l’UE et la CEDEAO.

    Bien qu’ils aient été mal ou peu expliqués par l’UE, les APE constituent une réelle opportunité pour les pays africains de s’adapter pour pouvoir profiter de la libéralisation des échanges au plan mondial. La tendance à l’abaissement généralisé des droits de douane conduira à l’ouverture et
    à l’insertion des entreprises africaines dans les chaines de valeur mondiales.

    Par ailleurs, les APE constituent un cadre et un environnement juridiques plus stables que les règles unilatérales de l’UE.

    On ne peut plus revenir en arrière. La question aujourd’hui pour les entreprises n’est plus de savoir si, comme s’interrogent encore certaines ONG, ces accords sont bons ou mauvais pour l’Afrique, mais de savoir comment elles peuvent en bénéficier très concrètement. D’ailleurs, l’industrie chinoise semble l’avoir bien compris, en cherchant sans attendre à délocaliser en Afrique de l’Ouest une partie de ses activités pour profiter ainsi d’un accès préférentiel aux marchés européens.

    Dans cette perspective, il est primordial que les entreprises françaises fassent désormais entendre leur voix et qu’un véritable dialogue public-privé s’engage avec Bruxelles sur les réformes structurelles à entreprendre pour que le démantèlement tarifaire maximise le bénéfice que les entreprises africaines et européennes pourront tirer de l’APE et en minimise les risques.

    Dans ce contexte, il est urgent de mettre sur pied une coalition des différents représentants du secteur privé, dont le CIAN, pour, de concert avec les pouvoirs public français et l’ Agence Française de Développement (AFD), faire entendre la voix des entreprises françaises pour influer sur les décisions à venir et développer un véritable dialogue avec les décideurs à Bruxelles et en Afrique de l’Ouest.

    Etienne Giros est Président délégué du Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN).

    Patrick Sevaistre est Membre du Comité directeur du CIAN.

     

    Cet article a été publié dans GREAT insights volume 3, numéro 9 (octobre/novembre) 

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