L’agenda universel post-2015 – Le partenariat ACP-UE répond-il encore à ses objectifs ?

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L’universalité est l’un des aspects clés de l’agenda global post-2015, mais que  signifie-t-il pour les relations ACP-UE ? Jean Bossuyt et Niels Keijzer se penchent sur cette question dans ce blog ECDPM.

Cette page est également disponible en Anglais.

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      « L’universalité est fondamentale : nous devons prendre conscience du fait que tous les pays font face à des défis et des opportunités communs pour un avenir partagé, et que nous devons tous prendre des engagements concrets – à la fois au niveau mondial et au niveau national – pour changer les choses. »

      C’est ce que souligne le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, dans son discours lors du coup d’envoi de l’Année européenne pour le développement à Riga, le 9 janvier 2015. Pour l’UE, le nouvel agenda mondial de développement post-2015 – qui devrait remplacer les Objectifs du Millénaire pour le développement – doit clairement être de nature « universelle ».

      L’adoption éventuelle d’un agenda véritablement universel aurait des implications d’une portée considérable. Cela changerait de manière drastique le « logiciel » même sur lequel le système de coopération repose depuis plusieurs décennies.

      Considérons les six facteurs suivants :

      1. Un agenda universel post-2015 implique l’abandon de la division traditionnelle Nord-Sud en tant que cadre conceptuel dominant et raison d’être de transferts des pays riches vers les pays pauvres. Celui s’appliquerait également à l’UE.
      2. Les thématiques de l’agenda post-2015 et ses « objectifs de développement durable » (ODD) élargissent considérablement le champ de la coopération internationale au développement – bien au-delà de la lutte contre la pauvreté -, et englobent de nombreux aspects qui n’étaient jusqu’ici pas financés par le biais de l’aide publique au développement (APD).
      3. La coopération au développement évoluera pour aller « au-delà de l’aide ». La solidarité internationale continuera à exister, en particulier avec les pays les plus pauvres ou les États fragiles. L’accent portera cependant moins sur les « transferts financiers » et beaucoup plus sur la gestion des challenges mondiaux par le biais de nouvelles formes d’action collective, la cohérence des politiques en faveur du développement durable, la gouvernance mondiale et la responsabilité mutuelle.
      4. Le principe de « différenciation » jouera un rôle central. L’UE différencie déjà son aide financière en fonction des niveaux de développement, notamment pour les pays de l’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP). La notion de « responsabilité partagée  » sera d’une importance cruciale dans la mise en œuvre de l’agenda post-2015.
      5. La mise en œuvre de ce nouvel agenda mondial ne peut pas être simplement confiée aux institutions multilatérales, aux organismes d’aide ou aux cadres de partenariat créés à une tout autre époque. Des structures innovantes de gouvernance mondiale et régionale seront nécessaires. De nouveaux acteurs institutionnels et de nouvelles parties prenantes rejoindront le processus de coopération (au-delà des acteurs traditionnels de la « communauté de développement »).
      6. Les discussions sont loin d’être achevées sur la meilleure manière de faire avancer l’agenda universel post-2015, et sur les « moyens de mise en œuvre » que cela requiert, mais il est cependant clair que le modèle traditionnel de solidarité unilatérale (notamment financière) entre le Nord et le Sud est sur sa fin. Le financement du développement « au-delà de l’aide » sera basé sur la mobilisation des ressources nationales, ainsi que sur des contributions de tous les pays (en fonction de leurs capacités respectives).

      Quelles implications pour le partenariat ACP-UE ?

      Ce n’est pas une question facile pour les architectes d’un partenariat ACP-UE au-delà de 2020. S’il existe encore de nombreuses incertitudes quant à l’issue du processus post-2015, il serait peu sensé de traiter ces deux processus séparément. Ce nouvel agenda remettra inévitablement en question une bonne part des fondations sur lesquelles repose l’édifice ACP-UE.

      À première vue, les principes clés sous-jacents à l’Accord de Cotonou – tels que les  « relations contractuelles », « un partenariat équitable  », ou « la gestion conjointe » – semblent conserver leur pertinence pour le type d’action collective requise pour l’Agenda post-2015. Un certain nombre de signes semblent cependant indiquer que ces principes n’ont pas été appliqués de manière effective et systématique dans l’actuel partenariat ACP-UE. Leur réelle capacité à faire avancer le nouvel agenda reste donc à démontrer.

      Réalités et questions épineuses à prendre en compte

      Examinons donc de plus près les six changements contenus dans l’Agenda post-2015 (tels qu’identifiés ci-dessus) :

      1. Exclusivité ou universalité ?
        L’adoption d’un agenda universel semble aller dans une direction opposée à celle du cadre ACP-UE actuel. Historiquement, ce partenariat était un pacte exclusif entre les anciennes puissances coloniales européennes et leurs colonies respectives. L’ambition initiale du partenariat en 1975, à savoir changer la nature même des relations internationales, a peu à peu perdu de sa substance.L’Accord de Cotonou est plutôt devenu l’archétype d’un partenariat Nord-Sud, centré principalement sur la mise en œuvre des différents Fonds européens de développement (FED) successifs. Cet aspect mis à part, il est difficile de distinguer d’autres exemples de réelle action collective (au-delà des déclarations) touchant à des politiques européennes n’ayant pas trait à l’aide au développement, telles que le dialogue sur les politiques de l’UE pouvant affecter les intérêts ACP, le dialogue politique sur les intérêts communs ou l’action conjointe en matière de gouvernance multilatérale.
      1. Le partenariat ACP-UE peut-il se rallier aux valeurs du nouvel agenda mondial (au-delà de la lutte contre la pauvreté) ?
        À première vue, cela ne devrait pas poser de problème. L’UE et le Groupe ACP ont déjà convenu d’unir leurs forces pour trouver et renforcer un consensus sur un nouvel agenda solide. L’expérience montre cependant que le simple fait d’ajouter ces nouvelles priorités thématiques dans un éventuel accord post-Cotonou ne suffira pas à garantir une véritable action collective.Un exemple éloquent à ce sujet est le sort réservé à l’Article 12 de l’Accord de Cotonou, qui prévoit un dialogue ACP-UE sur toute politique de l’UE pouvant affecter les intérêts des États ACP et peut être relié aux discussions en cours sur l’après 2015 et notamment la cohérence des politiques en faveur du développement durable. Jusqu’à présent, cet article n’a pratiquement pas été utilisé par le Groupe ACP – malgré son importance cruciale. De plus, nombre des grands thèmes de l’agenda post-2015, tels que le changement climatique, le travail décent, la sécurité, sont déjà abordés dans d’autres forums de politiques. De quelle manière un éventuel futur accord ACP-UE intègrera-t-il ces réalités ?Ce partenariat peut-il apporter un avantage comparatif par rapport à d’autres accords multilatéraux (concurrents), d’autres cadres continentaux (p. ex. l’UA), d’autres organes régionaux (p. ex. CARICOM, Forum du Pacifique), ou d’autres groupements à plus forte cohésion formés pour défendre des intérêts communs, tels que les PEID – petits États insulaires en développement ?
      1. Quel type de partenariat « au-delà de l’aide » ?
        Si le partenariat ACP-UE veut rester pertinent, il devra démontrer sa réelle valeur ajoutée en tant que cadre « politique » permettant de mettre en place des accords mutuellement bénéfiques entre des États et régions aux intérêts souvent concurrents.Un éventuel nouvel accord post-Cotonou peut-il y parvenir ? À quelles conditions ? De quelle manière ? En l’absence de réponses claires à ces questions, l’attractivité des dispositifs continentaux et régionaux, tels que la Stratégie conjointe Afrique-UE (SCAU), l’Union africaine, la Stratégie commune relative au partenariat Caraïbes-UE ou la Stratégie de l’UE avec le Pacifique, ne cessera de croître et d’offrir d’autres voies pour l’acheminement des fonds de l’UE.
      1. Quelle place pour la différenciation au sein du Groupe ACP ?
        Le Groupe ACP semble peu enclin à accepter la « différenciation », perçue comme une menace pour l’unité et la solidarité du groupe. Il sera cependant assez difficile de justifier le maintien en vigueur d’une coopération au développement traditionnelle dans des pays à revenu intermédiaire, dont le nombre ne cesse de croître au sein du Groupe ACP, sachant que certains petits États insulaires ont déjà un PIB par habitant supérieur à celui de certains États membres de l’UE.Dans les pays ACP riches en ressources, le problème n’est pas « plus d’aide » mais une bonne gouvernance et une distribution équitable des ressources nationales. L’Europe est elle aussi confrontée à certains défis. Dans un contexte marqué par la différenciation, l’UE devra clarifier ce qu’elle peut réellement apporter, en tant qu’acteur mondial, à des pays partenaires qui sont « sortis » de l’aide.
      1. Quelle est l’architecture institutionnelle adéquate ?
        L’agenda post-2015 oblige à porter un regard critique sur le schéma organisationnel du partenariat ACP-UE. Au lieu de simplement recouvrir les murs de l’édifice existant d’une nouvelle couche de peinture, les parties pourraient en profiter pour se demander si l’architecture institutionnelle d’ensemble est réellement adaptée pour mettre en œuvre ce nouvel agenda mondial. Existe-t-il de part et d’autre une cohésion suffisante pour négocier sur la base d’intérêts communs ?Dans quelle mesure et de quelle manière le partenariat ACP-UE peut-il être transformé en un cadre efficace d’action collective au niveau mondial ? De quelle manière un éventuel partenariat futur peut-il s’étendre au-delà des parties officielles (ou la « bulle » de Bruxelles) ? Dans quelle mesure et de quelle manière la participation de la société civile, du secteur privé et des collectivités locales peut-elle être approfondie et rendue plus efficace qu’elle ne l’est actuellement ?
      1. Comment financer le partenariat ?
        Quels peuvent être les modes de financement de ce nouvel agenda mondial de développement si le cadre ACP-UE est maintenu en place ? La solidarité ne sera plus unilatérale, mais nécessitera des contributions des économies émergentes et des pays à revenu intermédiaire. De plus, si le Groupe ACP veut être davantage qu’une « canalisation de l’aide », devenir un acteur mondial crédible et diversifier ses partenariats (au-delà de l’UE), il semble logique que ses membres assurent l’entièreté du financement de leurs structures.

      Il est par conséquent dans l’intérêt de toutes les parties impliquées de vérifier le niveau de compatibilité du nouveau « software » de l’Agenda post-2015 avec le « hardware » du cadre actuel ACP-UE, et les  changements nécessaires pour garantir la mise en œuvre efficace de la coopération de demain.

      Les opinions exprimées ici sont celles des auteurs et ne reflètent pas forcément celles de l’ECDPM.

      Les auteurs souhaitent remercier les équipes et les collaborateurs de l’ECDPM pour la contribution qu’ils ont apportée à cet article.

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