Madagascar : Poser les fondements durables des industries extractives

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    Madagascar est devenu symptomatique des conditions dans lesquelles évolue le secteur extractif dans les pays vulnérables avec l’arrivée des investisseurs étrangers. Les leçons tirées méritent une attention particulière à partager avec les autres pays pour trouver la bonne approche.

    D’une manière globale, les exploitations en cours sont soumises aux impératifs de la mondialisation, des politiques nationales et des enjeux locaux – sans oublier les desiderata d’innombrables personnes morales ou physiques avec des intérêts privés. Les actions « sociétales » apparaissent la plupart du temps comme des opérations de marketing visant à retourner les autorités et/ou les populations contre les esprits critiques. La non réactivité des malgaches face à l’injustice  n’est que la soumission ou la résignation par manque de références. Particulièrement affaiblis, et rendus versatiles par l’arrivée massive d’argent frais, les pouvoirs publics, quant à eux, n’arrivent plus à jouer le rôle qu’on pourrait attendre d’eux. Des membres de la société civile sont devenus des prestataires pouvant être réquisitionnés à tout moment. Certains dirigeants des compagnies montrent une arrogance à avoir le monopole de la vérité. Ce qui est préjudiciable c’est que cette conduite semble devenir la référence des autres opérateurs du secteur extractif à Madagascar. Jusqu’à preuve du contraire, un opérateur minier est un « invité » en séjour à durée déterminée.

    Qu’en est-il aujourd’hui à Madagascar ?

    Encore une fois, l’afflux massif de capitaux ne garantit pas automatiquement la paix sociale et l’amélioration du bien-être de la population. Il crée des illusions comme dans tous les pays qui souffrent d’un déficit démocratique. Profitant de cette situation, bénéficiant de l’appui des institutions financières internationales et disposant d’importants leviers financiers pour influencer les décisions publiques, les compagnies minières obtiennent des conditions fiscales spéciales et des facilités d’installation (autorisations administratives, occupation foncière, destruction de forêts tropicales…). Les activités en matière de « responsabilité sociale et environnementale » font désormais partie de l’arsenal nécessaire pour obtenir les « licences d’exploitation » et les financements internationaux. Présentant une sorte de « shopping list » de projets, les habitants sont en fait réduits à se comporter comme des mendiants. Des sommes non négligeables sont ainsi consacrées - sans contrôle démocratique - à des opérations de sponsoring et à des projets de saupoudrage cherchant à répondre aux demandes variables, et parfois contradictoires, d’une opinion publique par nature changeante.

    Si on se réfère aux chiffres éloquents de Dr Wilfred Lombe (1) : « En 2010, les revenus des compagnies minières ont augmenté de 32% et leurs résultats nets de 156%. Dans le même temps, les taxes versées aux Etats ne se sont accrues que de 6%. ». En plus des avantages fiscaux, les compagnies abusent des bas salaires. Les actions RSE (2) de certaines compagnies se résument ainsi à « déshabiller Pierre pour habiller Paul ». Les compagnies devraient publier d’une manière naturelle ce qu’elles gagnent et ce qu’elles versent aux différentes parties prenantes. Les communautés riveraines des régions d’exploration et d’exploitation vivent dans le « double bind » (3) ou dans l’incapacité d’évoluer dans le bon sens par manque d’appuis désintéressés et de financement indépendant. La population se retrouve abandonnée à son triste sort à la fin de l’exploration ou l’exploitation après la démobilisation, sans plus personne à qui s’adresser.

    Poser les bases d’un dialogue durable : trois règles d’or

    Un syndicaliste centrafricain (4) relevait cet état: « Dans les pays du Nord, les pouvoirs publics sont les VIP des multinationales. En Afrique, les gouvernements sont les valets des multinationales privées, publiques et institutions financières ». Après avoir offert des conditions particulièrement favorables aux multinationales, les autorités s’en prennent aux protestataires qui, pour des motifs souvent fallacieux, sont soumis à de lourdes sanctions quand ils s’entêtent à contester la conduite des opérations industrielles. Dans de telles conditions, le dialogue social, pourtant nécessaire à la bonne marche des entreprises et à l’émergence d’une société apaisée, paraît rapidement impossible. Les compagnies ne doivent pas prendre les parties prenantes indépendantes comme des opposants mais comme leurs principaux partenaires. En économie, la concurrence crée l’innovation. Dans le social, les critiques enrichissent les actions. Un opérateur a besoin d’interlocuteurs crédibles et de cadres de travail stable. L’absence de ces conditions ne justifie pas de rentrer dans le jeu de la corruption avec les autorités. Le premier point est donc de définir précisément le sens et le cadre du dialogue social dans les règles de l’art  avant d’engager le traitement des différents Sujets d’Intérêt Public (5) ou « enjeux ».

    Pour un opérateur, et c’est normal, la participation aux traitements des différents enjeux implique un coût financier augmentant ses charges et/ou diminuant ses marges bénéficiaires. Avant l’ouverture d’une exploitation, il faut avoir une idée des bénéfices financiers que chacun des « ayants droit » pourra tirer et de leur répartition dans le temps. Pour les exploitations en cours, il est important de faire l’évaluation avant la fermeture des sites. Cinq principales parties prenantes entrent dans la catégorie des « ayants droit » : les institutions financières, les actionnaires, les pouvoirs publics, les travailleurs et les communautés locales. Les communautés locales sont les plus difficiles à définir. Il est donc crucial de définir les limites territoriales de l’emprise du projet extractif (administrative, terroir et/ou culturelle) et de recenser les « locaux » sur la base de natifs, d’habitants ou d’originaires (y compris la diaspora). Le deuxième point est de faire une cartographie des parties prenantes et de se concerter avec eux, plus particulièrement la société civile indépendante et les communautés riveraines des gisements sur le contenu à mettre dans les principaux enjeux.

    Si l’on fait une synthèse des consultations publiques, cinq enjeux principaux ressortent : les accords et les textes réglementaires, les empreintes écologiques et foncières, le recrutement, le « local content » et le développement local. Les multinationales affirment appliquer les mêmes procédures dans toutes leurs filiales. Ces enjeux ne sont pas traités de la même manière dans tous les pays. Les acquis sociaux et les normes environnementales dans les pays occidentaux ne sont pas exportables comme la « HSEQ » (6) et les technologies. Le troisième point est d’avancer une ligne de conduite pour traiter les différents enjeux dans l’intérêt de toutes les parties prenantes.

    Quelles réponses face aux enjeux ?

    Les discours et les documents écrits (communiqués, notes de service, codes de conduite, recommandations d’atelier…) relèvent du « soft law » et n’ont aucun pouvoir d’obligation. Seuls les accords signés et les textes réglementaires, ou « hard law », ont ce pouvoir impératif avec des sanctions. Le « soft law » et le « hard law » fonctionnent comme en médecine : le curatif et le préventif. Le « hard law » reste un investissement sûr pour préparer l’avenir dans de bonnes conditions. La géopolitique mondiale montre que plus un pays a un cadre juridique contraignant et enrichi par des dialogues sociaux, plus les investissements sont sécurisés et le niveau de vie de la population élevé. C’est en imposant des règles contraignantes et en se dotant des moyens de contrôler réellement leur application que l’on évitera par la suite des conflits sociaux se dégénérant parfois à des conflits extrêmement violents. Pour une compagnie, le fait de gagner sur un accord très « attractif » ne garantie en aucune manière une sécurité des opérations et des investissements. Combien faut-il encore de morts ou quel niveau de misère pour que l’on remette en cause les accords injustes ?

    Les empreintes écologiques sont très complexes et différentes d’un milieu à un autre. Pour l’environnement, les scientifiques devront être libres de leurs études d’impact et sur les mesures de restauration dans l’intérêt de la planète et des communautés locales. Pour le foncier, il faut tenir compte de ses valeurs multidimensionnelles (culturelle, cultuelle et économique). C’est une erreur de réduire le foncier à une valeur monétaire et d’ignorer son rôle dans la production et ses valeurs sociales. L’appropriation des terrains de personnes vulnérables ne se règle pas seulement par une indemnisation que les ayants droit vont rapidement dilapider pour se retrouver démunis et obligés de mendier pour survivre, tout en se rendant compte d’avoir été spolié. En voyant la richesse générée par leur ancien patrimoine, la frustration des populations se transforme à termes en confrontation. La compensation monétaire lors des expropriations ne peut remplacer la valeur du travail réalisée sur les terrains perdus. L’équipe technique de modélisation d’un opérateur doit intégrer dans les emprises foncières les recommandations des communautés locales ressorties par les « permit men ».

    Le salaire est encore le « seul » revenu direct et régulier que peuvent avoir les locaux pour l’exploitation de leur patrimoine. Mais l’exploitation minière ou pétrolière moderne, intensive en capital, est exigeante en ressources humaines très qualifiées en bonne santé et peu créatrice d’emploi. Il faut ainsi réviser les salaires indécents des nationaux en manque de référence. On assiste à la décomposition du lien naturel entre la productivité, le prix des produits et le salaire. Le développement de la sous-traitance actuelle engendre le travail précaire. Un opérateur est un « employeur de fait » et un « donneur d’ordre », mais il évite de plus en plus d’être un « employeur de droit » pour se désolidariser des « acquis sociaux ».

    La présence d’un opérateur d’envergure est, pour les régions oubliées de l’économie moderne, une porte ouverte pour entrer dans l’économie de marché. Il faut donc que les opérateurs augmentent le pourcentage de « local content » pour offrir des revenus décents aux locaux ne pouvant pas être recrutés. Les achats locaux doivent bénéficier aux entreprises dont la majorité des actions devront être détenues par les nationaux. Il faut en finir avec les préjugés, hérités de la période coloniale, sur l’incapacité des locaux à devenir entrepreneurs d’envergure.

    80% des revenus générés par l’exploitation devront être utilisés pour répondre aux multiples besoins de développement actuel. Le reste devrait être dédié aux  générations futures par la mise en place d’un « Trust Fund », comme dans certains pays développés. Le nerf du développement est d’abord l’argent, mais qui doit être utilisé d’une manière efficace et efficient. L’intégration des projets industriels dans leur tissu socio-économique doit se faire en lien avec l’augmentation réelle du niveau de vie des locaux. La Norvège a démontré que pétrole et développement peuvent aller de pair. D’autres pays dans l’hémisphère Sud ont réussi à démystifier la malédiction des matières premières. Le point commun, difficile à percevoir, dans la réussite de ces pays, est l’existence d’un seuil minimum de personnes avec un « empowerment » très élevé et une empathie envers les communautés riveraines des gisements.

    Une compagnie devrait se recentrer sur son métier pour une meilleure productivité, afin de satisfaire les intérêts raisonnables des actionnaires et à payer un niveau décent de revenus aux autres ayants droit. Il faut aussi un seuil minimum d’hommes et de femmes indépendants qui travaillent en permanence afin qu’il ait une exploitation à bon escient de cette « bénédiction » pour être transformé en « bien-être ». Les retours d’expériences positives dans l’histoire humaine et dans le monde devront servir d’exemples. La « malédiction des matières premières » n’est pas inéluctable, car ce n’est pas le fruit d’une catastrophe naturelle mais de choix humains. Les communautés riveraines des gisements dans les pays vulnérables n’attendent que de nouvelles alternatives dans le bon sens.

    La version anglaise : Laying Lasting Foundations for Extractive Industries in a Vulnerable Country to Ensure Real Social Acceptance and to Secure Investments

     

    Toky Ravoavy est consultant secteur extractif et développement local. 

     

     

     

     

     

     

    Notes

    1. Interview dans « Les Afriques » du 14 décembre 2011 : « Nos Etats africains doivent prendre des participations dans les projets miniers développés en Afrique »

    2. RSE (Responsabilité Sociale/Sociétale des Entreprises) ou CSR (Corporate social responsibility)

    3. « Double bind » ou «Double contrainte » : Quoiqu’on fasse, on reste pris dans l'ordre d'un problème

    4. Conférence internationale 2010 de la CGT-FNME, Montpellier (France)

    5. Plus connu aussi sous l’expression «questions fréquemment posées»,  en anglais FAQ (Frequentlyasked questions)

    6. Health, Safety and Environment Quality (ou Normes en « Santé, Sécurité et Environnement » dans les lieux de travail)

    Cet article a été publié dans GREAT insights volume 3, numéro 7 (juillet/août 2014) 

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