Commerce sans compromis

% Complete

    Les accords de partenariat économique (APE) forment en fait une excellente occasion de renforcer et de promouvoir l’intégration intrarégionale et interrégionale, une opportunité qu’il ne faut pas laisser passer. Le processus longtemps décrié des APE pourrait fort bien être un catalyseur améliorant les relations politiques et d’affaires Afrique-Afrique et Afrique-UE.

    Vers un commerce véritablement équitable

    Mis en place dans de bonnes conditions, les échanges libres et équitables peuvent être une source dynamique d’emplois et de croissance. Les ressources et le savoir-faire apportés par des investissements directs étrangers, transparents et correctement réglementés, sont des élements importants pour réussir. Les politiques en matière de commerce et d’investissement doivent créer et pérenniser des conditions permettant
    d’apporter de la valeur ajoutée aux chaînes d’approvisionnement transfrontalières complexes qui sont celles du monde actuel.

    La mondialisation a montré sa capacité à sortir des millions de personnes de la pauvreté en créant de nouveaux emplois et en valorisant ceux déjà existants. Si elle est correctement gérée, elle peut améliorer les niveaux de vie et dynamiser l’économie et l’intégration sociale. Mais laissée aux forces du marché et du capitalisme de connivence, elle a suffisamment montré qu ‘elle pouvait être la cause de dégradation sociale et environnementale.

    Le Parlement européen et sa Commission du commerce international (INTA) sont déterminés à mettre tout en œuvre pour que les échanges
    commerciaux ne soient pas seulement libres mais aussi équitables, et trouvent un juste équilibre entre principes et intérêts communs. Nous
    sommes convaincus que seul un régime commercial fondé sur des règles claires, et sans distorsions, sans lourdeurs administratives, sans
    interdictions arbitraires d’importation ou d’exportation et sans discrimination envers les entreprises et les investisseurs étrangers, est réellement
    libre. Nous pensons également que pour être équitables, les politiques commerciales doivent servir à soutenir le développement durable, l’inclusion
    sociale et la protection des droits de l’homme. Dans cet esprit, les politiques en matière de commerce et d’investissement doivent être utilisées
    pour aller dans le sens non seulement des intérêts économiques, mais aussi des droits civils, politiques, sociaux, environnementaux et de solidarité.
    Le Parlement européen analyse chaque APE et la législation qui y est liée, en accordant une attention particulière à l’articulation entre intérêts, valeurs et développement. Et bien entendu, c’est au Parlement que revient le dernier mot dans ce processus puisque c’est lui qui ratifie tout accord. Durant le long et laborieux processus de négociation des APE, le Parlement européen a recentré le système de préférences généralisées (SPG) de l’UE sur les pays en ayant le plus besoin. Nous avons aussi allongé la période de suppression progressive du règlement sur l’accès au marché
    (RAM) 1528/2007, approuvé la mise en place d’APE intérimaires avec les pays du Pacifique, d’Afrique orientale et d’Afrique australe, et avec le Cameroun, suivi de près la mise en œuvre de l’APE avec CARIFORUM. Notre tâche est loin d’être achevée : les accords avec les groupements régionaux d’Afrique occidentale et d’Afrique australe seront bientôt à l’ordre du jour de la Commission du commerce international et seront ensuite débattus en séance plénière par le Parlement européen.

    APE – une voie escarpée vers le succès

    La politique commerciale de l’UE en général et les APE en particulier sont les fruits de vastes discussions et consultations impliquant les institutions de l’UE, les États membres de l’UE et les parties prenantes au sein de l’UE et au-delà. Entamées en 2002, ces discussions au sommet entre l’UE et les groupements de pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) sont parvenues l’été dernier, malgré les retards pris en cours de route, à des avancées décisives sur la conclusion d’un APE régional axé sur le développement et compatible avec les règles de l’OMC.

    La conclusion d’un APE régional avec les groupements régionaux d’Afrique occidentale et d’Afrique australe et les ratifications d’autres APE intérimaires marquent un important tournant dans les relations commerciales UE-Afrique. Même s’il n’est pas parfait, le processus souvent difficile et particulièrement long des APE peut néanmoins être considéré comme un succès et ce, pour plusieurs raisons.

    En termes de contenu, nous avons couplé le principe de l’essentiel des échanges commerciaux à de meilleures dispositions sur les règles d’origine et
    à une composante développement, stimulant ainsi la cohésion régionale de nos pays partenaires. Les principales caractéristiques de notre approche dans ce domaine sont l’accès immédiat au marché de l’UE et l’ouverture graduelle et asymétrique des marchés des régions partenaires.

    C’est aussi un succès en terme de processus. Les longues années que les négociateurs africains et européens ont consacrées à ces négociations
    commerciales ne l’ont pas été en vain. Nous avons pu montrer notre volonté politique lorsque des choix politiques ont dû être faits, des choix qui témoignent d’un remarquable degré de flexibilité. Nous avons su trouver des compromis lorsque nous étions dans l’impasse, prêts à tout abandonner, et c’est peut-être l’aspect le plus important - nous avons confirmé notre engagement en faveur du développement fondé sur le commerce. Et nous avons su rester flexibles : les portes restent ouvertes pour l’inclusion, le moment venu, d’autres parties aux APE intérimaires ou l’approfondissement de ces APE.

    Et cette option conservera son importance. Il est clair que les accords de commerce bilatéraux et multilatéraux qui remplacent les préférences unilatérales continueront à être essentiels tant que dureront les incertitudes sur la mise en œuvre de l’accord de l’OMC sur la facilitation des échanges.

    La mobilisation de la société civile et l’intérêt de la communauté scientifique ont généré d’importantes discussions et d’intéressantes analyses, qui ont contribué à sensibiliser nos partenaires à ces questions et à dissiper leurs inquiétudes. Tout en suivant de près le processus de négociation des APE, le Parlement européen a aussi prêté une oreille attentive aux voix de la société civile et du monde des affaires, à la fois au sein de l’UE et hors de l’UE, et continuera à le faire. Je souhaiterais réaffirmer ici que la « clause de non exécution » contenue dans les APE est pour le Parlement européen une ligne rouge à ne pas franchir. La protection des droits de l’homme ainsi que les normes sociales et environnementales sont profondément ancrées dans les relations commerciales de l’UE et le Parlement européen continuera à jouer pleinement son rôle de conscience
    démocratique de l’Europe en veillant au respect de ces valeurs.

    Même si c’est un processus douloureux pour certains pays partenaires, la date butoir du règlement sur l’accès au marché, qui met progressivement
    fin aux préférences unilatérales, a fortement incité les responsables politiques à penser davantage « régional ». Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue que la régionalisation et le développement ne peuvent pas être imposés à quelque pays ou région que ce soit. Il est par conséquent extrêmement encourageant de constater l’émergence d’un réel sentiment d’appropriation parmi les différents groupements régionaux. Nous devons tenter de transformer le processus des APE en un catalyseur de réel changement positif, facilitant l’apparition de nouvelles relations politiques et d’affaires de qualité Afrique-Afrique et Afrique-UE.

    Les engagements pris par les partenaires APE comprennent des obligations contractuelles en accord avec les règles de l’OMC, visant à faciliter l’intégration régionale et le développement fondé sur le commerce. Cela ne se fera pas sans efforts. Des réformes structurelles parfois douloureuses seront nécessaires et les opérateurs économiques devront s’adapter aux nouvelles réalités induites par la concurrence accrue.

    Même si le commerce est l’une des conditions préalables au développement, il ne se suffit pas à lui seul. Il est par conséquent primordial que l’UE remplisse sa mission de soutien aux pays qui acceptent de jouer le rôle de locomotive du long processus d’intégration au sein de leur régions respectives, prêts à affronter des contraintes à court-terme pour stimuler une croissance durable, qui à terme profitera à leurs entreprises et à leur société. Si elle veut être efficace et correctement ciblée, l’aide pour le commerce doit être mise au service de l’intégration du commerce. L’UE ne doit pas hésiter à faire un effort supplémentaire et continuer à aider les pays en développement à créer des chaînes de valeur régionales et à terme, à rejoindre les chaînes de production mondiales.

    Un processus plutôt qu’une destination

    N’oublions pas qu’aussi ardu qu’ait été le long processus de négociation et de ratification des APE, ce n’est que la première étape. La mise en œuvre est fondamentale. L’APE conclu avec CARIFORUM en est une bonne illustration.

    Les défis et les opportunités pour les différents groupements régionaux ACP, y compris les communautés économiques régionales (CER) en Afrique, sont parfaitement clairs. Une bonne part des prochaines étapes pour aller de l’avant semblent relever de l’évidence. L’une des pièces du puzzle de la croissance sera de réduire autant que possible ou d’éliminer complètement les obstacles aux échanges commerciaux entre pays africains. Il ne fait aucun doute qu’ils entravent le développement. Ou pour formuler les choses autrement : il est clair que l’isolement total d’un pays par rapport au commerce mondial et qu’une dépendance excessive sur les exportations de matières premières ne sont pas les meilleurs ingrédients pour favoriser la croissance et le développement durables.

    C’est à nos partenaires ACP qu’il revient de mettre à profit leur potentiel et d’utiliser les instruments disponibles pour stimuler un processus positif de transformation socioéconomique. Dans ce processus, le succès des partenariats dépendra en grande partie de la crédibilité et de l’efficacité des organisations régionales, de l’implication des parlements et de la société civile, et de la capacité des autorités nationales à tenir les promesses faites par le passé.

    La création d’un socle agricole et industrielle fort n’est pas possible en l’absence d’infrastructures matérielles et immatérielles et de services fonctionnant bien, qui cimentent les économies. Comme de nombreux exemples le montrent, le développement de liens au sein même d’une économie et la diversification du commerce, des flux d’investissement et des partenaires commerciaux sont des éléments essentiels pour capter une part importante de la « valeur ajoutée ». A une époque marquée par la disponibilité limitée des finances publiques, l’assistance technique ciblée sur l’intégration du commerce, les partenariats publics-privés et le rôle des économies émergentes, ceci est d’une importance encore plus accrue.

    Il n’est pas possible de progresser dans les chaînes de valeur sans sécurité juridique et sans environnement réglementaire solide, permettant les transferts de technologies et de compétences qui renforcent la compétitivité et la productivité. A cet égard, le rôle des parlements nationaux et régionaux dans la formulation des politiques et la redevance de comptes par les gouvernements pour les politiques qu’ils mettent en œuvre et les accords qu’ils concluent, reste essentiel.

    Les objectifs et les desseins particulièrement ambitieux, tels que le projet de création en 2017 d’une zone de libre-échange à l’échelle de tout le
    continent africain, sont des points clés. Nous devons cependant rester réalistes et commencer par éliminer les obstacles au commerce entre pays individuels. Seule une véritable intégration intra régionale et une coordination intra régionale efficace peuvent permettre de concrétiser ces ambitions continentales. Une fois qu’une certaine masse critique au sein d’un bloc régional sera en place et que les institutions communes auront
    été renforcées, nous verrons peut-être se produire des « élargissements » ou des « fusions » de communautés économiques régionales, telles que celle envisagée dans le cadre de l’initiative tripartie COMESA-CAE-SADC.

    Les APE garantissant un accès « traditionnel » au marché de l’UE ne sont pas une solution aux défis auxquels sont confrontées les économies africaines. Les négociations des APE ont mis en évidence l’existence d’un réseau complexe d’intrants intermédiaires régis par un enchevêtrement de dispositions des accords de libre-échange. L’UE a conclu et a entamé un grand nombre de pourparlers commerciaux, et notamment le vaste Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement.

    Cela n’enlève rien au fait que le processus des APE peut constituer un tremplin très utile pour des réformes économiques sur le long terme, et contribuer à préparer les partenaires en développement à utiliser le potentiel offert par les règles en matière d’investissement, de services et de
    commerce. Personnellement, je suis convaincu que, malgré les défis, les accords de partenariat économique peuvent jouer un rôle non négligeable
    pour les pays qui recherchent une croissance économique durable et un approfondissement de l’intégration.

    Les partenaires APE devraient également mettre tout en œuvre pour observer les normes en matière d’environnement et de travail, assurer une utilisation durable des ressources et promouvoir la responsabilité sociale des entreprises. Si la flexibilité est importante, il convient d’éviter
    absolument les inégalités de traitement et des doubles standards entre partenaires commerciaux. Un suivi attentif dans ce domaine est indispensable. Les APE doivent maintenant être mis au service du développement durable et pérenne.

     

    Bernd Lange est membre du Parlement européen au sein de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates. Il est également président de la Commission du Parlement européen du commerce international (INTA).

    Cet article a été traduit de l’anglais par l'ECDPM. La version originale est disponible en ligne dans l’édition anglaise de GREAT Insights.

    Cet article a été publié dans GREAT insights volume 3, numéro 9 (octobre/novembre 2014) 

    Loading Conversation