Les Européens, l’UE : une longue adolescence stratégique

Dans notre série de blogs sur les grands défis à venir en 2016, Damien Helly passe en revue les obstacles à une renaissance stratégique de l’action mondiale de l’Europe. Aux prises avec une adolescence qui dure, les Européens atteindront peut-être la maturité … ou commettront un suicide politique.

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      Après plusieurs mois de consultation, l’Union européenne devrait adopter au printemps 2016 sa nouvelle stratégie globale censée remplacer la stratégie européenne de sécurité de 2003. Treize ans plus tard, l’UE demeure un « adolescent stratégique ».

      Appliquer des concepts de psychologie à des construits sociaux comme l’Union européenne étonnera peut-être, mais cette approche n’est pas nouvelle. Le psychanalyste Gérard Haddad a récemment encore opéré ce rapprochement méthodologique pour essayer de mieux comprendre les fanatiques religieux et Cornelius Castoriadis avait en son temps développé la notion d’autonomie collective.

      Même si il n’y a pas de définition officielle d’un adolescent, les experts semblent converger sur les caractéristiques d’un certain stade de croissance et de transformation dans la vie des humains. J’ai choisi certains d’entre eux qui me semblent particulièrement pertinents pour qualifier aujourd’hui les sociétés européennes, les institutions de l’UE, ses États membres et leurs dirigeants.

      « Mon corps change »


      Tout d’abord, l’UE, comme de nombreux adolescents, vit de profondes transformations mentales et physiques : l’adoption de la charte des droits fondamentaux et les derniers traités lui donnent une âme et la personnalité juridique ; les élargissements modifient sa morphologie et sa géographie. Ses changements ont eu lieu après l’adoption de la stratégie de sécurité de 2003.

      Des études récentes ont montré que certaines parties du cerveau des adolescents se développent à des vitesses différenciées, conduisant par exemple à une faculté limitée pour écouter et se lier aux autres. Les résultats de l’action préparatoire de l’UE sur la culture dans les relations extérieures ont montré comment l’UE est souvent perçue à l’extérieur comme condescendante et certainement peu à l’écoute des autres.

      C’est pas moi !


      Les jeunes adolescents sont en général traversés par une certaine instabilité émotionnelle qui affecte leurs capacités de raisonnement. L’UE n’a pas été capable d’assumer ses dernières crises – du Brexit au Grexit en passant pas les nouveaux flux migratoires – et est beaucoup critiquée pour cela.



      En dehors de l’Europe, l’UE et ses États membres usent de la diplomatie et de la coopération pour suivre et réagir aux crises (en général dans une rhétorique bien contrôlée, pour ne pas dire contrainte) sans véritablement parvenir à les prévenir. Leurs sociétés restent très influencées par les media et ont les nerfs à vif lorsqu’il s’agit d’accueillir des migrants ou de trouver une issue aux conflits en Ukraine.

      Les adolescents vivent dans une illusion d’autonomie, en se croyant capables de modeler leurs propres vies et de maîtriser leur destinée alors que dans la majorité des cas ils dépendent fortement de leurs parents ou de leurs familles.

      Les États membres de l’Union européenne souffrent de la même illusion d’être autonome vis-à-vis des États-Unis et des alliances militaires de l’OTAN, ainsi que par rapport aux engagements pris pour le développement mondial et à d’autres « grands-frères » comme la Russie.

      Les adolescents apprennent à acquérir assez de maturité pour prendre des responsabilités et faire des choix difficiles en vue de leur autonomie. Cependant ils sont aussi souvent influencés par leur satisfaction immédiate et réfléchissent peu à leur futur.

      « Prêt à assumer des responsabilités ? »

      «  Que vais-je perdre en devenant adulte ? »


      Les sociétés européennes et leurs dirigeants peinent à définir leur autonomie collective. Ils ne parviennent pas à concevoir leurs propres visions du futur. Ils ne définissent pas les limites politiques et géographiques de l’Europe. Quel type de société et d’économie voulons-nous construire ensemble, et où s’arrêtent les frontières de l’Europe ?

      Les Européens ont besoin d’établir et de se conformer à des règles communes, tout en étant réalistes et en reconnaissant que les cadres nationaux ne suffisent plus pour vivre correctement la mondialisation. Ils doivent bien peser les gains et les pertes du transfert de souveraineté à une structure supranationale.

      Les décideurs européens, bloqués par le symbole de leurs parents politiques et institutionnels n’affirment pas leur maturité, leur autonomie, leur confiance en eux. Ils n’affirment pas leur conscience d’appartenir à une entité collective.

      Mûrir, se grandir ?


      L’année 2016, avec l’adoption de la stratégie globale de l’Union européenne (#EUGlobalStrategy) sera peut-être un moment d’enthousiasme pour ceux qui espèrent que les Européens pourront construire, dans les termes de Castoriadis, leur autonomie collective. 

      Une renaissance stratégique européenne manque probablement d’un ingrédient essentiel : l’espoir. Ce ne sont pourtant pas les options qui manquent : de nombreux think tanks, notamment le European Think Tanks Group, ont montré comment l’action extérieure de l’Europe peut être mieux intégrée, plus cohérente et, par conséquent, plus efficace pour contribuer au développement mondial.

      Certaines de ces options, notamment dans le domaine de la défense, existent déjà dans le Traité de Lisbonne. D’autres options existent, comme l’union bancaire, ou sont en cours de réalisation, comme l’union de l’énergie. Elles requièrent toutes des changements de mentalités et un transfert de souveraineté. La subsidiarité se transforme  et justifie dorénavant de nouveaux transferts de souveraineté : le niveau le plus pertinent d’action et d’initiative stratégique sur la paix et le développement ne se trouve plus exclusivement au niveau national.

      Une façon d’opérer ce changement de mentalité consiste à élargir progressivement et systématiquement le vote à majorité qualifiée dans les affaires étrangères des Européens.

      Une autre consiste à déléguer la gestion de certaines politiques ou initiatives à portée extérieure à de petits groupes d’États qui pourraient agir au nom des autres et avec le soutien des institutions de l’UE.

      Les diplomates et les politiciens européens préfèrent rester dans le déni face à de telles options. Si, comme l’ambassadeur Pierre Vimont l’a récemment déclaré au Forum de Genshagen, les Européens continuent à exceller dans l’art de l’esquive des vrais enjeux, l’adolescence politique de l’Europe pourrait se terminer en tragédie.

      Les opinions exprimées sont celles de l'auteur et ne reflètent pas forcément celles de l’ECDPM.

      Vidéo : courtoisie de BBC Worldwide.

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