Un grand absent au Sommet des chefs d'État africains à Washington : Le casse-tête Afrique, UE, États-Unis

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    Le Sommet des chefs d’État africains, qui s’est tenu à Washington au début du mois d’août, marque un tournant opportun et important dans les relations États-Unis-Afrique, puisque les questions de commerce et d’investissement y sont désormais en tête des priorités. Cette évolution place cependant les États-Unis et l’Union européenne (UE) sur deux trajectoires concurrentes en matière de commerce avec l’Afrique.

    Du patronage au partenariat

    C’est l’adoption en 2000 de la loi pour la croissance et les opportunités en Afrique (AGOA) qui a marquée la transition dans les relations États-Unis-Afrique. L’AGOA, qui abolit les tarifs douaniers américains sur 6 400 produits en provenance de 40 pays d’Afrique subsaharienne, a joué un rôle déterminant dans la relance économique à travers le commerce, l’industrie manufacturière légère et les investissements du secteur privé.
    Ainsi, l’aide au développement traditionnelle ne serait plus au centre du partenariat entre les Etats-Unis et les nations africaines.

    Lorsque l’administration de George W. Bush a donné une forte impulsion à la relation d’aide des États-Unis avec l’Afrique en finançant le plan d’urgence du Président pour la lutte contre le sida, dans un premier temps à hauteur de 15 milliards de dollars, montant ensuite passé à 48 milliards de dollars, il s’agissait d’une réponse légitime et cruciale à une crise sanitaire particulièrement grave affectant tout le continent. Cependant, force est de constater qu’il est peut probable que ce type d’intervention ne se renouvelle, même dans un contexte marqué par la menace que fait peser la crise Ebola sur l’Afrique de l’Ouest.

    Le gouvernement Bush a non seulement prolongé la durée de l’AGOA de 2008 à 2015, mais a aussi pris de nouvelles mesures pour que l’aide au développement traditionnelle ne soit plus l’élément central de la relation entre les États-Unis avec l’Afrique, en créant notamment la Millennium Challenge Corporation (MCC). La MCC est un véhicule permettant, par le biais de subventions, des investissements à grande échelle dans les pays africains, mais surtout, elle le fait selon un ensemble très strict de critères de gouvernance. La facilité de faire des affaires et le rôle du secteur privé sont ainsi devenus d’importants indicateurs de sélection dans l’attribution de subventions sous la MCC.

    Obama et le secteur privé

    Lorsque Barack Obama a été élu président en janvier 2009, cette transition dans les relations États-Unis-Afrique était déjà bien avancée. La crise financière de 2008-2009, a davantage contribué a faire de l’utilisation de l’aide budgétaire une chose du passé. Il est également important de noter
    que pendant cette période, le continent africain a connu des progrès notables en matière de bonne gouvenance et une croissance économique remarquable. Les investissements directs étrangers et le rôle du secteur privé africain étaient les véritables moteurs d’une croissance durable sur le long terme, de la création d’emplois et de l’intégration dans l’économie mondiale. En fait, en 2007, les investissements directs étrangers dépassaient pour la première fois l’aide publique au développement (APD), comme le montrent les chiffres de l’African Economic Outlook. Si l’on inclut les transferts de fonds de la diaspora africaine et les investissements de portefeuille, les flux issus du secteur privé représentent aujourd’hui près de trois fois le volume de l’APD. (1) La politique africaine d’Obama, même si son application a pris du retard, a accéléré cette transition des relations États-Unis-Afrique enclenchée par l’adoption de l’AGOA.

    En 2009, lors du sommet du G8 à L’Aquila, Obama a lancé l’initiative alimentaire pour l’avenir (Feed the Future) pour faire face à la crise alimentaire mondiale, en particulier en Afrique, avec un engagement de financement de 3,7 milliards de dollars. Trois ans plus tard, le gouvernement américain a associé le secteur privé à ce programme, par l’intermédiaire de la nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition (New Alliance for Food Security and Nutrition). Lors du sommet d’août dernier, l’on a notamment annoncé que des entreprises du secteur privé allaient investir plus de 10 milliards de dollars dans des activités agricoles, et que plus de la moitié de ces investissements proviendraient d’entreprises africaines.

    L’initiative Power Africa, dont l’objectif est de fournir à plus de 60 millions de foyers et d’entreprises un approvisionnement en électricité plus fiable, est le deuxième grand projet lancé par Obama en Afrique. Le secteur privé occupe ici aussi une place importante. Selon USAID, le ratio est pratiquement de 4:1 en ce qui concerne la mobilisation des fonds, puisque plus de 26 milliards de dollars proviennent du secteur privé et le
    gouvernement américain ne fournit que 7 milliards de dollars.

    Pour la Young Africa Leaders Initiative, qui a attiré plus de 50 000 candidatures pour les 500 bourses de formation en leadership dans des universités américaines, le secteur privé est aussi un important partenaire du gouvernement des ÉtatsUnis.

    L’initiative Trade Africa est un autre programme gouvernemental dont l’objectif est d’approfondir et de renforcer les liens entre les États-Unis et l’Afrique. Ce programme n’est pas encore parvenu à négocier un accord sur le commerce et d’investissement avec la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE). Cependant, il veut convertir les trois plateformes régionales de commerce pour en faire des pôles d’investissement et de commerce. En
    plus de facilité l’accès aux entreprises africaines sur marché américain dans le cadre de l’AGOA, ces pôles aideront aussi les entreprises américaines à saisir les opportunités offertes par les marchés africains. Le ministère du Commerce doublera, quant à lui, sa présence en Afrique.

    En bref, le gouvernement Obama a entrepris beaucoup plus que tous les gouvernements précédents pour faire avancer les objectifs commerciaux des États-Unis sur le continent africain. Cependant il reste encore beaucoup à faire. La réalité, toutefois, est que les entreprises américaines prennent
    lentement conscience des opportunités sur le continent africain.

    Le Sommet du mois d’août

    Au delà de tout, Obama a saisi l’occasion du Sommet du mois d’août pour mettre l’accent sur la promotion du commerce et de l’investissement en Afrique. Le 5 août, plus de 300 PDG des entreprises américanes et africaines ont participé à un forum d’affaires d’une journée, organisé par le secrétaire d’État au Commerce, Penny Pritzker et l’ancien maire de New York, Michael Bloomberg. Un des moments forts de ce forum était bien entendu la participation d’Obama, mais aussi l’annonce d’investissements de pas moins de 33 milliards de dollars.

    Il est également intéressant de noter qu’un des trois thèmes clés du Sommet officiel le 6 août était le commerce et l’investissement, les deux autres étant consacrés à la paix et à la sécurité régionale et à « gouverner pour les générations futures ».

    Durant tout le Sommet, le renouvellement de l’AGOA est resté un sujet de conversation récurrent. Les leaders africains soulignaient l’importance de ce dispositif. Le gouvernement Obama a quant à lui affirmé son engagement à collaborer avec le Congrès en vue d’une extension « sur le long terme » de l’AGOA, ainsi qu’un élargissement du nombre de produits couverts par l’AGOA, une amélioration des règles d’origine et une mise à jour des critères d’éligibilité. Durant toute cette semaine, d’innombrables événements organisés en marge du sommet permettaient de mieux découvrir les avantages qu’offrent les investissements en Afrique.

    Le dilemme Afrique, UE, États-Unis

    Au lendemain du Sommet des chefs d’État africains, de nombreux participants avaient le sentiment qu’il était réellement possible de faire entrer les relations États-Unis-Afrique dans une nouvelle ère. La politique de l’UE en matière de commerce avec l’Afrique pourrait cependant limiter sérieusement le potentiel de cette nouvelle ère, puisque l’AGOA et les accords de partenariat économiques (APE) de l’UE vont en réalité dans des directions opposées.

    L’AGOA, par exemple, est un système de préférences non réciproque qui a pour objectif de promouvoir le développement économique par le biais du commerce. Les APE, au contraire, sont des accords de libre-échange que les pays africains devaient signer avant le 1er octobre 2014 s’ils ne voulaient pas perdre l’accès préferentiel sur le marché de l’UE. Alors que les États-Unis tentent d’obtenir un accès aux marchés en Afrique par le biais de l’AGOA et de toute une série d’initiatives mutuellement bénéfiques, l’UE s’efforce quant à elle de dominer le marché par le biais d’un accès privilégié et de clauses de la nation la plus favorisée. Ces deux approches ne pourraient être plus divergentes.

    Par ailleurs, si les APE garantissent aux entreprises de l’UE un accès aux marchés des pays africains qui ont signé ces APE, ils ne sont pas sans conséquences néfastes pour le continent africain. Par exemple, l’entité que l’UE désigne du terme générique d’« États de l’APE SADC » n’est en réalité rien d’autre que les cinq membres de l’Union douanière d’Afrique australe (SACU : Afrique du Sud, Botswana, Namibie, Lesotho et Swaziland) plus le Mozambique. Non seulement l’appellation est trompeuse, mais l’UE est visiblement aussi parvenue à scinder la Communauté de développement de l‘Afrique australe (SADC), dont la longue histoire de prise de décision collective remonte pourtant à 1980.

    Cette division au sein de la SADC a d’importantes implications régionales puisque le groupe formé par la SACU +1 ne connais pas sous quelles conditions les huit autres membres de la SADC accepteront de signer des APE, ou si même ils le feront. Pour la SADC, qui est en pleine négociation d’un accord tripartite, avec la Communauté de l‘Afrique de l‘Est (CAE) et le Marché commun d‘Afrique orientale et australe (COMESA), les APE sont un obstacle majeur, non seulement pour ce qui est de cet objectif vital d’intégration économique régionale, mais aussi du calendrier de développement au sens large. La zone tripartite de libre-échange de COMESA-CAE-SADC, dont le lancement est prévu en 2015, pourrait bénéficier à pas moins de la moitié des États membres de l’Union africaine, soit au total une population de 600 millions de personnes et un PIB de près de 1 trillion de dollars. (2)

    Figure 1: La région scindée en deux : les « États de l’APE

    Pays

    Les « États de l'APE SADC » de l'UE

    SADC

    Botswana

    X

    X

    Lesotho

    X

    X

    Afrique du Sud

    X

    X

    Namibie

    X

    X

    Swaziland

    X

    X

    Angola

     

    X

    Mozambique

    X

    X

    République démocratique du Congo

     

    X

    Madagascar

     

    X

    Malawi

     

    X

    Île Maurice

     

    X

    Seychelles

     

    X

    Tanzanie

     

    X

    Zambie

     

    X

    Zimbabwe

     

     Les APE devraient également compliquer les choses au niveau du renouvellement de l’AGOA. Certains membres du Congrès américain se demandent déjà ouvertement pourquoi les États-Unis devraient envisager de prolonger un système de préférences non-réciproque en faveur de pays africains qui, au même moment, concluent des accords de libre-échange avec l’UE. Il ne fait aucun doute que les APE représentent un défi pour l’AGOA, dont la mise en place s’est traduite de manière directe ou indirecte par la création de plus d’un million d’emplois sur le continent africain.

    Quelles sont les prochaines étapes ?

    Dans les deux années à venir, l’administration d’Obama va s’efforcer d’approfondir son action en Afrique par le biais de ses initiatives emmenées par le secteur privé. L’extension en temps opportun de l’AGOA, bien avant sa date actuelle d’expiration du 30 septembre 2015, sera un élément déterminant dans ce domaine.

    L’UE poursuivra son action et continuera à négocier ses accords de libre-échange sur tout le continent africain. C’est sans doute une bonne chose pour les entreprises européennes, mais cela compromettra les efforts des entreprises américaines pour s’installer de manière durable sur le continent africain. Cela va également à l’encontre des efforts mis en œuvre par les entreprises et les milieux d’affaires africains pour accroître
    le commerce régional et les investissements.

    S’il y a un point qui a fait défaut lors du Sommet des chefs d’État africains, c’est bien que cette question n’a pas été abordée par les Etats-Unis et chefs d’états africains. Dans son livre The Bottom Billon, paru en 2007, l’éminent économiste d’Oxford , Paul Collier, avance que l’Afrique a besoin d’« un dispositif simple » de commerce international avec des règles d’origine généreuses, d’une couverture panafricaine et d’une longue phase d’élimination progressive afin de faire en sorte que la pauvreté soit réduite et que les producteurs africains pénètrent de nouveaux marchés d’exportation. (3) Les États-Unis et l’UE tentent actuellement, par le biais du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI), de créer la plus grande zone de libre-échange au monde. Ces deux parties pourraient en profiter pour harmoniser également leur relation avec l’Afrique en matière de commerce. Ce serait une bonne chose, notamment parce qu’il s’agit ici de la croissance et du développement durables de l’Afrique.

     

    Witney Schneidman est chercheur non résident à la Brookings Institution et conseiller principal pour l’Afrique chez Covington & Burling LLP. Il a 
    également occupé le poste de sous-secrétaire d’État adjoint pour l’Afrique

    Notes

    1. BAfD, OCDE, PNUD et CEA-ONU (2013), African Economic Outlook 2013: Structural transformations and natural resources, p. 46.

    2. Mail and Guardian Africa, “1 Trillion ‘Grand’ Africa Tripartite Free Trade Area Expected to Beat 2016 Schedule”, August 17, 2014:
    http://mgafrica.com/article/2014-08-17-africa-economy-africasgrand-fta-negotiation-progressing-well-sadc-officials

    3. Paul Collier (2007), The Bottom Billion: Why the Poorest Countries are failing and What Can be Done about it, Oxford: Oxford University
    Press, p. 168-170.

    Cet article a été traduit de l’anglais par l'ECDPM. La version originale est disponible en ligne dans l’édition anglaise de GREAT Insights.

    Cet article a été publié dans GREAT insights volume 3, numéro 9 (octobre/novembre 2014)  

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