Les Accords de partenariat économique : Quelles perspectives pour l'Afrique subsaharienne dans un contexte commercial qui évolue ?

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    Alors que les Accords de partenariat économique (APE) sont enfin sur le point d’être conclus, le paysage mondial et africain subit un profond changement. En cause, une combinaison de facteurs tels que les négociations commerciales méga-régionales et l’expansion rapide de la Chine à travers le continent. De quelle façon les puissances mondiales qui négocient les accords méga-régionaux et avec l’Afrique peuvent-ils réagir à ces changements ?

    Après des longues années de négociations, les accords de partenariat économique (APE) semblent enfin aboutir de manière positive. Si les perspectives pour l’Afrique subsaharienne paraîssent encore assez incertaines pour ceux qui ne sont pas engagés activement dans les négociations,
    les principaux groupements régionaux semblent avoir débouchés sur des accords. Il semblerait que la majorité des non-PMA auront finalement un APE, tandis que les PMA (même ceux qui ne sont pas concernés par les APE) continueront d’avoir un accès intégral au marché européen grâce à l’initiative « Tout sauf les armes » (TSA). Et tandis que les APE étaient essentiellement axés sur l’accès aux marchés pour les marchandises, ils contiennent des clauses de rendez-vous offrant la possibilité d’élargir et d’approfondir les accords dans l’avenir.

    Pourtant, les objectifs stratégiques qui entouraient les APE ont fondamentalement changé depuis que les négociations ont débuté voilà plus d’une décennie. Raison principale à ce changement, l’émergence récente des négociations commerciales à l’échelle méga-régionale et l’ascension rapide
    de la Chine en Afrique dans les domaines du commerce et de l’investissement.

    Les Accords méga-régionaux changent la donne (1)

    Les accords méga-régionaux peuvent être définis de plusieurs façons. A mon avis, ce sont des accords commerciaux préférentiels conclus par au moins trois pays; représentant un quart ou plus du commerce mondial ; et exigeant des engagements profonds en terme de réglementations intérieures. Ainsi, seuls le Partenariat transpacifique (TPP) et le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) remplissent ces critères.

    Conduits par les États-Unis, le TPP et le TTIP dont la portée est large et l’ambition élevée, sont lourds de conséquences pour les États qui ne font pas parti de ces négociations et pour le système commercial mondial. En partie issus de l’impasse à l’Organisation mondiale du commerce (OMC),
    ces accords ont consommé toute l’énergie nécessaire aux négociations à l’OMC, contribuant ainsi à des difficultés à conclure le cycle de Doha; même s’ils ont pour objectif stratégique de redynamiser leur rôle de chef de file à l’OMC dans un deuxième temps par le processus de la libéralisation
    compétitive (voir Encadré). Ces accords commerciaux préférentiels sont également un produit de l’essor géopolitique de la Chine, incitant les Etats-Unis et l’UE à sécuriser l’accès aux régions et marchés clés. La Chine et les autres économies émergentes réagissent avec leurs propres initiatives, telles que la Coopération régionale dans les négociations Asie et Pacifique (RCEP). Ainsi, on constate un mouvement renouvelé en faveur des accords préferentiels de libre-échange dans le monde.

    Généralement, les évaluations des impacts des négociations des TPP et TTIP s’accordent sur l’idée que les effets de la libéralisation tarifaire sur les économies des pays membres qui négocient seront modestes. De même, il existe un certain consensus sur l’idée que les risques de détournement de
    flux commerciaux sur les pays tiers seront relativement minimes, particulièrement pour les États africains puisque la majorité d’entre eux n’est pas en concurrence directe avec les parties aux négociations. Toutefois, certains pays risquent de souffrir de l’érosion des préférences appliquée aux matières premières principales, risque atténué par le fait que les barrières douanières sur les marchés de l’UE et des E.U sont déjà faibles dans l’ensemble. Certaines études font valoir que les impacts de création de flux commerciaux, comme par exemple, une demande accrue pour des ressources naturelles à des parties aux deux accords, pourraient compenser les impacts dus au détournement des échanges pour les tiers, produisant des gains positifs nets.

    La notion de « libéralisation compétitive » est plus particulièrement liée à Fred Bergsten, ancien directeur de l’Institut « Petersen Institute for International Economics », et Richard Baldwin. Le premier fait valoir que les États-Unis négocieent des Accords préférentiels de libre-échange avec d’autres pays, de telle sorte que ces pays finissent par partager la même vision que les Etats-Unis et cherchent à nouer des accords dans le même esprit avec d’autres partenaires. Très vite, les parties exclues de tels accords prennent modèle sur ces accords, pour qu’au bout du compte, ces principes se retrouvent à l’OMC sous forme de nouveaux accords. Voir C. Fred Bergsten « Competitive Liberalization and Global Trade: A Vision for the Early 21st Century », Working Paper 96-15, Peterson Institute for International Economics.

    Baldwin a relevé l’ « effet de rouleau compresseur » selon lequel les grandes sociétés multinationales recherchent la convergence réglementaire pour s’assurer du bon fonctionnement de leurs opérations dans les chaînes de valeurs globales, et d’exercer une pression sur les gouvernements hôtes pour qu’ils assurent la convergence par le biais tout particulier d’accords de reconnaissance mutuelle. Cette pression se retrouve dans les accords préférentiels de libre-éhange, créant ainsi un effet de rouleau compresseur accentué par la libéralisation compétitive. Voir Richard Baldwin « A
    Domino Theory of Regionalism », NBER Working Paper, 4465, 1993. 

    Plus important, toutes les études s’accordent à penser que la suppression des obstacles non tarifaires, notamment par le biais de l’harmonisation réglementaire aura des répercussions importantes à la fois sur les parties et sur les tiers, même si les effets sont très difficiles à mesurer ou même à prévoir. Certains observateurs s’inquiètent de voir que les normes vont être tellement relevées que les pays tiers seront écartées des marchés conquis initialement; d’autres avancent que les accords de reconnaissance mutuelle s’appuyant sur un élargissement des évaluations de conformité entre les parties en négociation augmenteront largement l’accès aux marchés pour les pays tiers. Mais comme toujours, le diable est dans les détails, et seules les évaluations sur des produits spécifiques révéleront les impacts probables. Dans tous les cas, il y a consensus sur l’idée que les égociations sur les normes de réglementation restera vraisemblablement un élement essentiel de la diplomatie commerciale moderne ; un fait que les États africains ont souvent omis dans les APE, mais auquel il faudra qu’ils s’adaptent.

    Il importe de comprendre les différents scénarios possibles qui pourraient se dessiner selon les accords mégarégionaux, dans la mesure où les implications stratégiques selon les États africains varient sensiblement. Dans le cas d’un scénario réussi, la libéralisation compétitive va gagner
    la bataille, avec pour résultat une place prioritaire pour les questions de réglementation à l’agenda de l’OMC, et par conséquent une demande de réciprocité de la part États africains, qui serait difficile à décliner. Selon un scénario partiellement réussi, des aspects importants des questions
    réglementaires et leurs impacts sur le commerce décrits ci-dessus se manifesteraient mais l’hégémonie occidentale sur le système commercial mondial ne serait pas confirmée de manière décisive.

    Ce qui permettrait aux États africains d’entrevoir une perspective d’ « équilibre des pouvoirs », nuancée selon les sous-régions et le degré d’exposition à l’influence chinoise en particulier. Mais la recherche d’une réciprocité dans les relations commerciales bilatérales obligerait les grandes puissances économiques à augmenter leurs exigences en la matière induisant des incidences négatives sur les systèmes de préférences. Selon un scénario pessimiste, les implications décrites se manifesteraient plus vite et de manière plus intense tandis que les puissances occidentales
    devraient lutter pour préserver leur « sphères d’influence » traditionnelles. En outre, et plus particulièrement, si le programme de réformes économiques de la Chine atteint ses objectifs, les pays africains devront faire face à un système commercial dominé par la Chine, et peut-être plus
    tôt que prévu. Dans les trois cas de figure, l’environnement géopolitique en constante mutation risque nettement plus d’affecter les relations africaines en matière de commerce et d’investissement.

    Évolution du contexte commercial (2)

    Le contexte dans lequel s’inscrit les négociations mégarégionales révèle que les pays de l’Afrique subsaharienne sont engagés dans des négociations avec leurs partenaires clés sur des accords institutionnels essentiels en matière stratégique et de développement à long terme. La loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique (AGOA) – la pierre angulaire des relations économiques entre les États-Unis et la région depuis 2000 – devrait être renouvelée en 2015 dans un contexte d’incertitude réelle concernant les conditions de tout nouvel accord. La loi
    AGOA est unilatérale et non réciproque, aspects qui seront sujets à discussion, surtout concernant les économies principales de la région et les marchés les plus dynamiques de l’Afrique subsaharienne. Un facteur déterminant derrière les considérations américaines est que l’UE concrétisera
    d’ici peu le processus de l’APE, fondé sur la réciprocité, donc sur l’accès préférentiel aux marchés africains pour les entreprises européennes.

    Depuis 2000, le Forum sur la Coopération sino-africaine (FOCAC) a servi de plateforme principale pour les relations bilatérales sino-africaines. Récemment, il y a eu des initiatives pour officialiser les accords de commerce et d’investissement avec les organisations régionales africaines
    par le biais d’Accords cadre noués avec la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) et la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). La Chine, également pourrait commencer à demander la réciprocité avec certains partenaires en réaction aux APE.

    Ainsi, une géopolitique en pleine évolution se dessine à l’heure où les schémas de commerce et d’investissement du continent subissent une profonde transition en passant de partenaires économiques traditionnels à des relations accrues avec les nouveaux pôles de croissance du
    commerce mondial. L’UE en tant que bloc demeure le plus grand partenaire commercial de l’Afrique subsaharienne, pourtant sa part de commerce mondial a diminué de moitié entre 1989 et 2011 de 50% à 25%. En 2011, les E.U. représentaient 12%, tandis que pour l’Afrique subsaharienne,
    la Chine était devenue le seul partenaire bilatéral le plus important en matière de commerce affichant 15% du commerce total de la région. La rapidité et l’ampleur de l’engagement de la Chine dans le continent a changé la donne.

    Que peuvent faire l’UE et les E.U. pour appuyer les États africains ?

    Du point de vue des États de l’Afrique subsaharienne, et en dépit du scénario qui sortira de la conclusion des accords méga-régionaux, la tendance immédiate serait de se rapprocher des partenaires européens et américains – plus particulièrement si les systèmes des préférences existants sont renforcés et si l’UE fait de la croissance économique africaine une priorité stratégique. Dans ce cadre, les systèmes des préférences généreux élaborés dans les marchés développés, assortis de règles adaptées aux réalités du commerce moderne pourraient stimuler la diversification des exportations africaines. L’accord TTIP, en particulier, pourrait fournir la possibilité pour l’UE et les E.U. de revisiter conjointement les systèmes des préférences commerciales pour appuyer les objectifs de développement des pays de l’Afrique subsaharienne à revenu faible. Les partenaires de l’accord Trans-Atlantique appliquent des accords non réciproques spécifiques par le biais de la loi AGOA et de Tout sauf les armes (TSA), lesquels offrent un accès spécial aux pays les moins avancés et aux pays africains. Un accès ouvert aux marchés développés pourrait aider à stimuler l’investissement et la création d’emplois dans les secteurs d’exportation des PMA africains dans le domaine de l’agriculture, de la fabrication et des services.

    Toutefois, malgré leurs excellents résultats, les deux systèmes souffrent de sérieuses contraintes : la loi AGOA exclut et applique des contingents tarifaires à des produits essentiels que la région peut produire à un prix compétitif; le TSA prévoit une application intégrale en franchise de droit et hors contingent uniquement aux pays classés au titre des PMA, créant ainsi un écart arbitraire au sein des divers groupements régionaux africains ; les règles d’origine requises pour l’admissibilité du produit vont à l’encontre du développement des chaînes de valeur ; et le mécanisme annuel de révision de la loi AGOA conjugué à un sentiment d’incertitude lié au renouvellement du système après 2015 diminue la garantie d'accès.

    L’harmonisation des systèmes des préférences ne semble pas être prévue dans le programme du TTIP. Néanmoins, l’UE et les E.U pourraient mutuellement reconnaître les normes portant sur les règles d’origine en vertu de la loi AGOA et du TSA. Cette mesure réduirait les coûts d’information et assouplirait les procédures de mise en conformité pour les sociétés africaines exportatrices et, éventuellement permettrait aux produits importés des pays africains classés dans la catégorie du système des préférences de bénéficier d’un accès réciproque aux marchés de l’UE et des E.U.

    Que peuvent faire les Africains ?

    Si les économies de l’Afrique subsaharienne ont bénéficié d’une croissance plus rapide ces dernières années que celle des autres régions dans le monde, les matières premières en ont été le principal moteur. La plupart des pays africains devront mettre en œuvre des réformes qui améliorent
    l’environnement et l’attractivité des affaires pour devenir des pôles d’investissement de telle sorte qu’ils puissent exploiter leur potentiel dans les activités de fabrication et de productivité agricole. Des infrastructures et des services clés de base modernisés (la logistique, les télécommunications
    et les transports) sont d’autres conditions préalables à réunir pour obtenir une compétitivité et la capacité à exploiter les chaînes de valeur sophistiquées à l’échelle mondiale.

    Pour créer un environnement favorable à l’essor des chaînes de valeur, il est nécessaire d’approfondir et de garantie plus de coherence dans les efforts d’intégration régionale. Pour l’heure, la faiblesse de l’intégration régionale est la conséquence du manque de complémentarités entre
    les économies de la région, mais aussi des nombreux obstacles au commerce qui restreignent sévèrement la capacité à créer des chaînes de valeur régionales. Ainsi, l’Afrique demeurera longtemps dépendante de forces extérieures. Cependant, des initiatives prises au niveau régional pourraient servir de laboratoires pour entreprendre des réformes et élaborer des chaînes de valeur régionales dans la perspective de mettre en place progressivement des réseaux mondiaux de production.

    Peter Draper est Directeur de Tutwa Consulting et un Associé principal à l’Institut « South African Institute of International Affairs » (SAIIA).

    Notes

    1. Ce paragraphe est extrait de l’étude de Draper P., Lacey S et de Y. Ramkolowan. 2014. « Mega-regional Trade Agreements: Implications for the African, Caribbean, and Pacific Countries », ECIPE Occasional Paper, No. 2. Le titre est tiré du Forum économique mondial. 2014. Mega-regional Trade Agreements: Game-Changers or Costly Distractions for the World Trading System, Genève : Forum économique mondial.

    2. Ce paragraphe est tiré de Draper P. and S. Ismail “The Potential Impact of Mega-regionals on Sub-Saharan Africa and LDCs in the Region”, in Forum économique mondial, op.cit.

     

    Cet article a été traduit de l’anglais par l'ECDPM. La version originale est disponible en ligne dans l’édition anglaise de GREAT Insights.

    Cet article a été publié dans GREAT insights volume 3, numéro 9 (octobre/novembre 2014).

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