Le Commissaire De Gucht : Son bilan sur les Accords de partenariat économique

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    Les Accords de partenariat économique (APE) constituent un processus mutuellement avantageux qui va définir le cadre des relations commerciales ACP-UE au cours du XXIe siècle et ancrer solidement ce partenariat privilégié dans la réalité mondiale.

    État des lieux

    Lorsque j’ai pris mes fonctions de Commissaire en charge du commerce en 2010, les négociations portant sur les Accords de partenariat économique entre l’UE et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique étaient dans l’impasse. Un seul accord global, l’APE UE-CARIFORUM, était d’application dans la région caraïbe et un seul pays, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, appliquait un APE intérimaire dans la région pacifique. De l’avis général, les négociations régionales étaient bloquées, et les APE intérimaires conclus en 2007 n’étaient ni ratifiés ni mis en œuvre.

    Il revenait donc à la Commission et aux partenaires ACP de conjuguer leurs efforts pour remettre les APE sur les rails. Cinq ans plus tard, je crois
    que nous avons plutôt bien réussi. La situation aujourd’hui est bien différente de ce qu’elle était en 2010. Un nombre croissant de pays ACP optent pour les APE. Ils voient ces accords comme des vecteurs de leurs stratégies de développement et comme un cadre stable et prévisible non seulement
    pour stimuler le commerce et l’investissement, mais aussi pour accélérer les réformes structurelles et la création d’emplois. Nous appliquons des APE dans plusieurs régions ACP : en Afrique avec Madagascar, Maurice, les Seychelles et le Zimbabwe en Afrique orientale et australe (AfOA) et plus récemment avec le Cameroun en Afrique centrale ; dans la région caraïbe avec les 14 pays du CARIFORUM ; et dans le Pacifique avec la Papouasie Nouvelle-Guinée et, plus récemment, avec Fidji. Cette année, nous avons conclu les négociations avec les groupes APE d’Afrique de l’Ouest, de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) et de la Communauté de l’Afrique de l’est (CAE).

    Dans l’ensemble, ces accords couvrent désormais plus de la moitié des pays ACP, avec de réelles perspectives pour y adjoindre d’autres pays. D’autres négociations sont toujours en cours avec trois régions : l’Afrique centrale, l’Afrique orientale et australe et le Pacifique. Des APE sont déjà mis en œuvre avec deux d’entre elles.

    Récentes avancées

    L’aboutissement des négociations avec l’Afrique de l’Ouest, le groupe APE de la SADC et la CAE en 2014 marque une étape importante dans les relations commerciales entre l’UE et l’Afrique. Grâce à ces accords équitables et équilibrés, nos relations privilégiées vont trouver un solide ancrage dans les réalités régionales et mondiale, en totale conformité avec les règles de l’OMC. Ils garantissent à toutes les régions un régime commercial unique avec l’UE, en lieu et place de différents régimes basés sur le niveau de revenus de chaque partenaire. Ceci est important pour l’intégration régionale en Afrique. La mise en œuvre de l’agenda commun APE nous permettra d’atteindre les objectifs fixés par l’Accord de Cotonou conclu en 2000.

    En Afrique subsaharienne, l‘Afrique de l‘Ouest et la SADC sont des poids lourds économiques. Plusieurs pays de ces régions APE ambitionnent de
    devenir des économies émergentes en moins d‘une génération. Les APE peuvent soutenir cette vision qui est dans l‘intérêt à long terme de toutes
    les parties. Le 16 octobre, nous avons paraphé l‘APE avec la CAE. Une fois mis en œuvre, je pense que l‘APE facilitera le processus vers la mise en œuvre de l’union douanière de l‘CAE, partenaire africain de l‘UE et zone côtière en Afrique avec un meilleur accès à des liaisons commerciales viables. L‘UE est déjà le principal partenaire commercial et d‘investissement de ces régions. Les APE sont susceptibles de donner une impulsion supplémentaire à ces relations, avec des retombées positives pour le reste de l‘Afrique. Le continent désire manifestement faire la transition de l‘aide vers le commerce et l‘investissement – une déclaration stratégique exprimée lors du 4ème sommet UE-Afrique d’avril dernier.

    Ces APE montrent aussi combien l‘UE tient à ce que ces accords commerciaux avec les partenaires africains soient mis au service du développement, de la création d’emplois et de la croissance à long terme. Je suis particulièrement heureux de voir que 12 pays moins avancés (PMA) font partie de l‘APE en Afrique de l‘Ouest, quatre de la CAE et deux autres de la SADC. Il y a de bonnes raisons à cela. Les APE représentent en effet bien plus que
    l’accès aux marchés. Ils incarnent un véritable partenariat impliquant les institutions et une coopération continue. Leurs avantages ne peuvent être ni modifiés ni supprimés unilatéralement lorsqu’un pays gravit un échelon du développement. En d’autres termes, la sécurité juridique et la stabilité sont garanties pour les entreprises et les investisseurs.

    N’oublions pas non plus qu’au titre des précédents accords commerciaux ACP-UE, plusieurs décennies de préférences unilatérales n’ont pas réussi à accroître ou à diversifier les exportations. C‘est précisément l‘une des raisons pour lesquelles nous avons décidé, de concert avec les pays ACP, de nous tourner vers des APE réciproques, quoiqu’asymétriques. Depuis le début, notre démarche s’inscrit dans la vision que les pays ACP disposent d’un énorme potentiel de croissance et pourraient tirer parti des possibilités découlant d‘une économie mondiale interconnectée.

    APE provisoirement mis en œuvre, situation en février 2010

    En donnant accès à plus de choix et en permettant d’importer les intrants à meilleur coût, les APE contribueront à abaisser les coûts de production et les prix à la consommation dans les pays ACP partenaires. C’est indispensable pour la compétitivité, le développement industriel et une meilleure articulation avec les filières mondiales. Enfin, de nombreuses dispositions des APE vont bien au-delà des tarifs, je songe notamment aux dispositions relatives aux règles d‘origine améliorées et au cumul étendu – essentielles pour l‘intégration régionale – ou encore aux dispositions relatives aux obstacles techniques au commerce et à la coopération douanière. Les préférences unilatérales ne permettraient pas d’aller aussi loin.

    Les APE ont évidemment suscité quelques oppositions et controverses, alimentées par les craintes d’une concurrence accrue et la possible perte de recettes douanières dans les pays ACP. Il me paraît toutefois qu’on ne peut ignorer les avantages économiques potentiels et les flexibilités sans précédent offerts par les APE. Ce sont des accords commerciaux et de développement généreux et singuliers, par le niveau d’asymétrie des engagements et des obligations. Alors que l‘UE ouvre sans délai son marché à tous les produits ACP, les pays ACP se voient accorder de longues périodes de transition et la liberté de protéger leurs produits sensibles de la libéralisation. Les chocs inutiles peuvent en outre être évités grâce à des mesures spéciales permettant aux partenaires ACP de promouvoir leur développement industriel et de protéger leur sécurité alimentaire, leurs industries naissantes et leurs ressources naturelles.

    Grâce aux APE, les pays ACP pourront plus facilement exporter leurs produits agricoles vers l’UE. Un exemple : au delà d’avoir ouvert totalement
    le marché agricole de l’UE au Botswana, au Lesotho, à la Namibie, au Mozambique et au Swaziland, y compris pour des produits très sensibles comme la viande bovine et le sucre, l‘accord avec le groupe APE de la SADC offre également à l’Afrique du Sud un accès au marché agricole
    européen, en consolidant l‘Accord sur le commerce, le développement et la coopération conclu en 2000. Pour l‘agriculture prise dans son ensemble,
    l‘UE va entièrement ou partiellement libéraliser 90% des lignes tarifaires agricoles (à titre de comparaison, l‘Union douanière d‘Afrique australe
    (SACU), Afrique du Sud comprise, en a libéralisé 91%) et 91 % des échanges commerciaux (contre 97 % libéralisés par la SACU). Ce meilleur accès au marché agricole est rendu possible grâce aux quotas d’accès supplémentaires octroyés à l‘Afrique du Sud pour le vin, le sucre et les fruits en conserve, entre autres, et à l‘UE pour le blé, l‘orge, les produits laitiers et les produits à base de viande. De part et d’autre, l‘accès aux produits
    sensibles a été soigneusement calibré pour éviter des effets néfastes sur les marchés intérieurs.

    APE en Afrique, situation en octobre 2014

    L’Afrique du Sud et l‘UE ont revu leurs relations en matière de commerce de vins et de spiritueux de manière à pouvoir remplacer deux accords signés en 2002, mais jamais ratifiés. Pour la première fois, les échanges concernant des produits à haute valeur ajoutée et d‘un intérêt vital pour les deux parties reposent sur des bases  solides et équitables. À l’instar de l’UE, l’Afrique du Sud produit du vin selon des normes élevées ; les deux parties sont convenues de se référer aux normes internationales fixées par l‘Organisation internationale de la vigne et du vin pour la définition des pratiques de vinification. Un accord sur les appellations géographiques, initialement conclu entre l‘Afrique du Sud et l‘UE, mais auquel tous les autres États APE pourront adhérer ultérieurement, permettra de protéger 251 indications géographiques (IG) clés pour l‘UE, ainsi que 105 appellations sud-africaines, essentiellement de vins, mais aussi de l’infusion Rooibos, afin de garantir aux producteurs de cette boisson emblématique leurs droits de propriété intellectuelle.

    En janvier 2014, le commissaire européen à l‘agriculture et au développement rural, Dacian Ciolos, a en outre annoncé une concession importante pour les pays ACP qui ont conclu des accords préférentiels avec l‘UE : la cessation des restitutions pour les produits agricoles communautaires
    exportés vers ces pays.

    Considérant tout ce que nous avons accompli, je suis intimement convaincu que les opérateurs économiques seront plus enclins à développer des
    activités productives et à investir dans des pays dont les relations commerciales avec l‘UE s’inscrivent dans un cadre d’APE stable et compatible avec l‘OMC. Un meilleur environnement pour les affaires et le renforcement de la sécurité juridique vont certainement influencer leurs décisions d’approvisionnement et de localisation.

    APE dans le Pacifique, situation en août 2014

    Et après ?

    Au delà des avancés positives de ces derniers temps, l’heure n‘est pas à la complaisance. À court terme, les récents accords négociés devront être
    consolidés, signés et appliqués, et le reste des négociations doit être mené à bien. À moyen et à long terme, il pourrait y avoir un besoin d‘élargir et
    d‘approfondir les partenariats existants en y associant d‘autres pays et d’autres questions, selon les souhaits de nos pays partenaires.

    Il importe également de garder à l‘esprit que le processus des APE ne s‘arrête pas à la signature et à la ratification de l‘accord : c’est un partenariat constant et sur le long terme. La mise en œuvre de l‘APE nécessitera des efforts supplémentaires des deux côtés, bien au-delà des réductions tarifaires. Il s‘agit de réaliser un ambitieux programme de réforme interne, de créer un environnement propice aux affaires et de renforcer la compétitivité et la capacité du secteur privé à prendre part aux échanges commerciaux. Nous ne pouvons ignorer les défis auxquels les partenaires ACP pourraient être confrontés. C‘est pourquoi l‘UE s‘est engagée à les soutenir dans cette voie grâce à l‘aide pour le commerce et, plus largement, l’aide au développement.

    Je pense qu’à terme, le réseau APE couvrira l’ensemble des pays ACP qui souhaitent un tel partenariat avec l‘Union européenne et leurs voisins. Certains pays, voire régions,  pourraient cependant faire l’impasse sur cette offre, ce qui est bien sûr leur droit souverain et cela ne dépend pas
    de l‘UE. L‘UE continue néanmoins de proposer un système de préférences généralisées attractif aux pays éligibles, comprenant l‘accès hors
    contingents et en franchise de droits de douane à tous les PMA au titre du régime « Tout, sauf les armes ».

    Au final, je suis fier de laisser le dossier APE en bien meilleur état que je ne l’ai trouvé en 2010. Certes, le processus aura été éprouvant. Mais il aura changé la dynamique des relations entre les ACP et l’UE et la perception de l‘UE en tant que partenaire, passant d‘un fournisseur unilatéral à un partenaire. Plus tard, nous pourrons regarder en arrière et constater que le processus APE aura été un facteur positif – et non une question qui fâche – à mesure que le partenariat ACP-UE murit en un partenariat d‘égal à égal, comme il est prévu dans l‘Accord de partenariat de Cotonou.

    Karel De Gucht est le Commissaire européen en charge du commerce depuis 2010. Cecilia Malmström lui succédera au 1er novembre 2014.

     

    Cet article a été traduit de l’anglais par l'ECDPM. La version originale est disponible en ligne dans l’édition anglaise de GREAT Insights. 

    Cet article a été publié dans GREAT insights volume 3, numéro 9 (octobre/novembre 2014) 

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